Saint-Exupéry et Tristan Derème : l’origine du Petit Prince

 

                                                                             RÉSUMÉ

En 1942, un éditeur américain commande un conte à Saint-Exupéry qui vit à New York et traverse une grave crise morale. Un large faisceau de présomptions permet de dire que Saint-Exupéry, pour composer Le Petit  Prince (1942), a utilisé un ouvrage aujourd’hui oublié : Patachou, Petit garçon (1929) de Tristan Derème, mort en 1941. Les mots-clés du Petit Prince (étoiles, mouton, caisse, muselière, rose, renard, désert, puits…) sont les mots les plus fréquemment utilisés par Derème, et une part non négligeable de l’imagerie du Petit Prince a son origine dans Patachou.

NOTA : La première version de cette étude a été publiée dans la Revue d’Histoire Littéraire de la France, juillet-août 1997, n°4. Dans Saint-Exupéry, Œuvres complètes, T. II, Collection de La Pléiade, Michel Autrand écrit : « Denis Boissier par ailleurs a bien mis en lumière le nombre et l’importance des éléments contenus dans Patachou, Petit garçon (1929) de Tristan Derème, qu’il  a retrouvé dans Le Petit Prince. Voir dans le texte de Derème l’origine de celui de Saint-Exupéry ne repose sur aucune preuve décisive, mais la coïncidence des deux univers a quelque chose de troublant et, en tout état de cause, est riche d’enseignement sur la sensibilité des années 1930. » (p. 1342, en note).

                                                                                            

                                                                                                                   

                                                                                                                         Denis BOISSIER

                                                                                                              (première version : août 1997

                                                                                                                                   deuxième version : mai 2009)



                                                                                      « Et je voudrais que toute justice soit rendue. »

                                                                                                                      Saint-Exupéry, Citadelle, CXIV.    

                                        


I- INTRODUCTION


Dans quel ouvrage charmant1 les héros sont-ils un étonnant petit garçon et un homme déçu de n’être qu’une « grande personne », où il est beaucoup question d’étoiles, d’éléphants, d’une rose, d’un chasseur avec un chapeau pointu, d’un puits surgi brusquement, d’un boa avaleur, d’un baobab, d’un mouton, d’une muselière, d’une boîte qui cache l’essentiel ?...

Longtemps, j’ai répondu à l’unisson. Aujourd’hui, ma réponse est plus nuancée car j’ai fait une découverte :  Saint-Exupéry a utilisé pour composer Le Petit Prince (1942) un ouvrage aujourd’hui oublié : Patachou, Petit garçon. L’auteur en est Tristan Derème ; l’année de publication 1929, chez l’éditeur Emile-Paul.

Né en 1889, mort en 1941, Tristan Derème, poète et romancier, n’a jamais atteint le grand public, ni retenu la critique qui l’a catalogué parmi les poètes fantaisistes. Patachou, Petit garçon fut son plus grand succès2, qui bénéficia en 1950 d’une 53ème édition (l’éditeur réimprimait à moins de cinq cents exemplaires).

Dès les premières pages de Patachou (je ne sais évidemment encore rien de ce livre), je suis séduit par la délicatesse du ton, la justesse des dialogues, la fragilité des images. Je songe aussitôt au Petit Prince, et me dis, sans y attacher plus d’importance, que Saint-Exupéry a dû lire cet ouvrage. Ma lecture achevée, j’en étais tout à fait convaincu. 






  Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)                                     

                





















    Tristan Derème (1889-1941)             





















II- DEMONSTRATION


1. A la page 24 de Patachou, Petit garçon3, un passage attire mon attention : 

[...] il m’a demandé une étoile. Je lui ai dit que, peut-être, avec un filet à papillons, qui aurait un très long manche... Enfin, je lui ai promis que j’attraperais une étoile et que je la poserais sur le coin de son oreiller. Dix minutes après, il dormait doucement. Mais au réveil :

_ L’étoile ! criait-il. Où est l’étoile4 ?

_ Ne vois-tu pas qu’'il fait jour ? Elle est repartie. Il fallait te réveiller plus tôt. Elle était là, près de ta joue. Tu aurais pu la prendre dans ta main.

Il m’a répondu :

_ La prochaine fois, tu la mettras dans une petite boîte. Elle ne pourra plus s’en aller.

J’ai encore fait ce qu’il voulait. Nous avons une petite boîte.

_ Ne l’ouvre pas, lui dis-je. L’étoile s’échapperait.

Il tourne la boîte et la retourne :

_ Elle ne pèse pas beaucoup, ton étoile !

Mais il est très fier de son trésor.  

Plusieurs mots sont étrangement familiers : "étoile", "boîte", "trésor". Familière aussi, cette idée d’une boîte qui abriterait l’idéal.  

Le Petit Prince : « Ça c'est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans.» (p. 14). Un peu plus loin : « Puis, sortant mon mouton de sa poche, il se plongea dans la contemplation de son trésor.» (p. 16) 

Dans les deux cas, les "trésors" sont fictifs, et c’est cet imaginaire qui donne sa richesse à l'enfance. Derème emploie le mot "boîte", Saint-Exupéry "caisse", toutefois, page 110, Patachou s’exclamera : «Viens voir une boîte vivante !» Vivante, la caisse du Petit Prince l’est aussi, qui contient un mouton.

Quoique Derème préfère employer le mot "boîte", je vérifie si "caisse" figure dans Patachou. Oui,  page 157. Et la phrase est significative : « C’est une vieille caisse à biscuits, et c’est là-dedans qu’il entasse son trésor

On me rétorquera que Derème ne parle pas d’un "mouton". Justement, si : le mot "mouton" est souvent mentionné (p.121,176, etc.), de même que le mot "agneau"  (p.11, etc.).  


2. Patachou, p. 38

Je ne sais pourquoi je lui ai conté, un soir, que toute la terre n’était pas au même instant noyée dans la nuit et qu’au moment où Patachou se couche à Passy, c’est l’heure où, de l’autre côté du monde, un autre Patachou s’éveille.

_ Alors, il y a deux Patachou ?...

Il  était  désolé ;  car  il  tient  à demeurer  une  personne  unique  en l’univers [...]. 

Le Petit Prince, p. 64 :  

« Sa fleur lui avait raconté qu’elle était seule de son espèce dans l’univers.» 

Les mots changent (mais restent synonymes), l’idée demeure : la candeur des êtres purs est de se croire uniques. La rose a hérité de la qualité de Patachou.  


3. Patachou, p. 61 : 

_ Plus tard, m’a-t-il déclaré ce matin, je visiterais le paradis des éléphants.

_ Le paradis des éléphants ?...

_ Oui, tu m’as dit que les bêtes n’entraient pas dans notre ciel. Il doit donc y avoir un autre paradis pour celles qui ont été bonnes. Là, je verrai tous les éléphants qui auront été sages. Deux à deux, ils noueront le bout de leur trompe pour me faire une escarpolette.

_ Et s’ils se mettent en colère ? Ignores-tu que leur trompe est aussi terrible qu’un boa, et qu’un boa peut étouffer un bœuf ? Les éléphants sont d’énormes animaux qui ont un boa au bout du nez.  

Côte à côte, les mots « éléphants » et « boa », réunis dans une image qui sera celle du Petit Prince. Que menace de faire le boa de Derème ? D’étouffer un bœuf. Grâce à Saint-Exupéry, on sait qu’il peut aussi avaler un éléphant. Et pour nous en convaincre, l’auteur a même fait un dessin. 


4. Il est aisé de dresser une liste des mots-clés du Petit Prince : étoiles, mouton, caisse, muselière, rose, éléphants, boa, renard, désert, puits... Ces mots sont également dans Patachou, la plupart répétés au fil des pages. Etoiles : p. 117, 209, etc. ; Agneau ou mouton : p.11, 121, 176,  etc. ; Boîte (pour caisse)  : p. 24, 110. ; Rose : p. 14, 15, 209, etc. ; Eléphants : p; 72, 94, 133, 134, 143, etc. ; Boa : p. 61, 142, etc. ; Renard : 186, 197, etc. ; Désert : p. 60, 224. ; Puits : p. 38, 200, etc. ; Serpent : p. 28, 110.

Dans deux cas seulement, le mot n’est pas identique mais synonyme : « caisse » et « agneau » pour « boîte » et « mouton ». Derème emploie aussi le mot « mouton », mais en dehors de la scène où il figure comme personnage.

On me rétorquera : parmi les mots-clés, vous en avez oublié, par exemple « les grandes personnes », expression favorite du narrateur, ou encore le mot « avion », qui a son importance. Dans Patachou parle-t-on seulement de volcans à ramoner ou d’une « muselière » dont aurait besoin un mouton ? Et il ne faudrait pas omettre le mot qui a fait certainement le plus rêver les lecteurs : « baobab ». Voyons ces termes un par un :

1) Les « grandes personnes ».

L’expression apparaît chez Derème — comme chez Saint-Exupéry — dès la première page : « Il faut dire vous aux grandes personnes. » (Patachou  p.9).

On la retrouve, page 60 : « Patachou ouvre de grands yeux. Les enfants, qui pourtant ne semblent songer qu’à des jeux, ne pensent pas, à l’ordinaire, que les grandes personnes puissent jouer. » Page 63 : « Tu ne sais donc pas que les enfants ni les grandes personnes ne sont faits pour respirer sous l’onde. » Page 154 : « [...] les petits garçons connaissent les secrets de l’Univers beaucoup mieux que ne peuvent faire les grandes personnes.»

Jamais Derème n’emploie d’expressions similaires comme "les adultes" ou "les parents". Saint-Exupéry non plus.

2) « Avion ».

A la page 42 de Patachou,  il  est  question de moteurs d’avions :  

[...] serions-nous les humbles plagiaires des oiseaux ? On le croirait parfois, quand on voit les hommes se munir d’ailes. Mais, tandis que l’essence explose dans les terribles moteurs, un oiseau rit de nous et traverse les ondes.  

Le mot « avion » réapparaît page 147 où Patachou s’exclame : 

_ Ah !... je voudrais avoir des ailes.

_ L’homme a fait des avions. »  

répond le narrateur. Un aviateur n’aurait pas dit mieux.

3) "Volcan".

Le mot lui-même ne figure pas dans Patachou. Mais à la page 37 :  

Depuis que Patachou, dans mon vieil atlas, a vu la figure étrange de la terre : un globe de feu sous une écorce, il ne pense plus qu’à percer notre malheureuse planète. 

Patachou veut « percer » la terre pour y trouver le feu ; le Petit Prince, lui, ramone les volcans de sa propre planète.

4) « Muselière ».

Elle apparaît une première fois page 85, à propos du chien Cerbère qui garde les Enfers. La seconde fois, page 204, il est question d’un chevreau, nommé Brusquet :  

Brusquet est fort petit ; nous décidâmes de l’installer dans une ronde corbeille couverte d’une serviette solidement cousue. Ne vous inquiétez pas ! Nous avons ménagé une étroite ouverture, afin qu’il pût passer à l’air le bout du museau ; et toute fleurie de précautions, tante Mathilde lui mit une muselière. Il fronçait la narine et nous regardait d’un œil désolé. Une muselière !  

L’aviateur du Petit Prince pensera lui aussi à dessiner sur la paroi de la caisse de petites ouvertures (p. 14), pour que le précieux mouton puisse respirer.

5) « Baobab ».

Après les mots « étoiles », « caisse », « muselière », les probabilités s’opposent à ce qu’on se heurte à un « baobab ». Aucune association d’idées ne rapproche ces quatre mots. Aucun, à l’énoncé des trois autres, ne vient spontanément à l’esprit. Pourtant, « baobab » figure dans Patachou, en bonne compagnie, page 192 :  

[...] si j’en crois tes discours, ton industrie a su faire choir les centaines d’éléphants qui barrissaient en aiguisant leurs défenses terribles contre les baobabs de tes rêveries.  

L’expression «baobabs de tes rêveries » est très suggestive.

Dans Le Petit Prince, le dessin des baobabs (p. 25) est précédé de celui qui montre des piles d’éléphants (p. 22). La proximité des deux dessins est l’équivalent de la phrase de Derème où « centaines d’éléphants » précède « baobabs ».

On peut donc ajouter à la liste commune des mots-clés : les grandes personnes ; les avions et leur moteur ; la muselière du mouton ;  les baobabs5. 


5. Un dessin du Petit Prince, page 70, représente le personnage du chasseur. Pourquoi ce chasseur-là est-il affublé d’un chapeau aussi pointu ? Généralement, les chasseurs portent des casquettes, ou de pratiques chapeaux plats. A cette question, personne, me semble-t-il, n’a trouvé de réponse. Patachou nous l’offre page 9 :  

Il faut dire vous  aux grandes personnes.» On le lui a répété cent fois. L’oncle Philippe est venu passer huit jours à la campagne. Il chasse. Il a un grand fusil et une manière de chapeau tyrolien.

_ Vous avez un chapeau poinvous... lui dit Patachou.

_ C’est un chapeau tyrolien, lui confie l'oncle Philippe.

_ Oui, mais c’est un chapeau poinvous.

_ Poinvous ? Que veux-tu dire ?

_ Maman m’a dit de ne pas dire tu... Si je te disais tu, je te dirais que tu as un chapeau pointu. Mais maman me l’a défendu. Alors vous avez un chapeau poinvous. 

Ne pouvant reprendre l’idée par les mots, Saint-Exupéry l’a suggérée par le dessin.  


6. La lecture de Patachou fournit la réponse à une autre question. Pourquoi le Petit Prince, d’une nature si éthérée, a-t-il autour du cou un cache-nez ? Elément vestimentaire incompréhensible pour un être proche de l’ange, et aussi surprenant qu’un chapeau pointu pour un chasseur. La réponse court tout au long de Patachou . Et elle relève du même principe : ce qu’il ne peut reproduire par les mots, Saint-Exupéry le dessine.

Comme tous les enfants, Patachou s’enrhume, ou pourrait s’enrhumer. La crainte du narrateur pour un éventuel rhume de Patachou est si constante qu’elle frôle l’obsession (p. 17, 35, 36, 63, 64, 133, 153, 163, 167, 168, 188, 205, 212, etc.) C’est elle qui a, consciemment ou non, suggéré à Saint-Exupéry de protéger son Petit Prince contre le vent et le froid6. Il voyage tellement.

Enfin, sur ce thème — prendre ou ne pas prendre froid — la rose du Petit Prince affirme : « Je ne crains rien des tigres, mais j’ai horreur des courants d’air.» (p. 32).  L’expression "courant d’air" traverse Patachou, page 163. 


7. Qu’en est-il de la rose dans Patachou ?

Elle apparaît souvent (p.14, 15, 77, etc.) et Derème fait même allusion au vers de Ronsard « Allons voir si la rose...» (p. 76) Puis, page 209 de Patachou :  

Une rose fanée, une étoile éteinte, n’est-ce point tout de même ?

Le Petit Prince : « Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire [...] si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s’éteignaient.» (p. 30). 

Quoique vaniteuse, la rose ne manque pas de générosité7. Elle, qu’un rien dérange, acceptera de n’être plus protégée par un globe :

_ Mais les bêtes...

_ Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les papillons. Il paraît que c’est tellement beau. »8 (Le Petit Prince, p. 36). 

L’idée est déjà dans Patachou. Patachou, qui a le cœur immense, ne veut pas qu’on tue une araignée. Il rêve même d’avoir un mûrier afin de la nourrir. Scepticisme du narrateur. Patachou :

_ Alors ? Tu ne comprends pas ? Puisqu’elle serait nourrie comme un ver à soie, elle ferait, toute la journée, des fils de soie. Sa toile, que tu méprises, serait un joli cornet de soie, pendu au mur. » (p. 189).

L’araignée de Patachou est devenue une chenille chez Saint-Exupéry, et le « joli cornet de soie », un « beau papillon ».  


8. Les deux œuvres débutent par l’opposition de l’enfant candide, qui interroge toujours, et du narrateur qui répond difficilement, empêtré dans les soucis matériels9.  

Patachou , page 27 :  « Qu’est-ce que je trouverai dans mon soulier ? demande Patachou.

_ Tais-toi. Laisse-moi faire mon article.

_ Alors, tu ne crois pas au Père Noël ?

_ Laisse-moi. Je te dis que je fais un conte ; et dans ce vacarme, je ne trouve pas la moindre idée.»

Page 49 : « Sur la grande table, j’ai traîné une montagne de livres. J’ai débouché mon encrier. Je voudrais bien travailler. »

Page 64 : « A chaque instant, Patachou me prenait par la main :

_ Allons voir les poissons, me disait-il.

Peut-on rien refuser à Patachou ? J’abandonnais mon livre ou mon journal et nous sortions contempler l’étalage de notre voisin. [...] Vous comprenez que je ne pouvais pas passer mes matinées et mes après-midi devant ces poissons. Je dois, hélas ! noircir beaucoup de pages dans mes journées...»

Le Petit Prince, page 14 : « Alors, faute de patience, comme j’avais hâte de commencer le démontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci.»

Page 27 : « _ Alors les épines, à quoi servent-elles ?

Je ne le savais pas. J’étais alors très occupé à essayer de dévisser un boulon trop serré de mon moteur.»

Page 28 : « J’étais irrité par mon boulon et je répondis n’importe quoi. » 

D’abord dérangé, désorienté par les sollicitations saugrenues de son petit compagnon, le narrateur de Patachou finit par accepter d’y répondre. L’aviateur du Petit Prince aussi. 


9. Ce faisceau de présomptions étant trop important pour qu’il s’agisse seulement de coïncidences, je reprends la lecture de Patachou à la première page. Et ceci qui, au premier abord, ne m’avait pas sauté aux yeux  : la similitude des initiales des deux titres : 

Patachou, Petit Garçon

Le Petit Prince  

La dédicace de Patachou use d’une formule encore plus proche : «Petit Patachou »

Les  deux  ouvrages  ont  une  dédicace,  l’une  et  l’autre  de  nature  explicative :

Patachou :

« A MA MERE 

ET QUE CE PETIT PATACHOU

QUE JE LUI AMENE

EN LE TENANT PAR LA MAIN

LUI REDISE AVEC GRATITUDE

TOUT LE BONHEUR DE MON ENFANCE.» 

Saint-Exupéry aussi s’adresse à une « grande personne » : Léon Werth. Et pour se faire pardonner des enfants, il rappelle que le dédicataire a été un enfant. Derème mettait également l’accent sur son enfance passée.

Saint-Exupéry termine sa dédicace par : 

A LEON WERTH

QUAND IL ETAIT PETIT GARÇON 

L’expression « petit garçon » est le sous-titre de Patachou. 


10. L'incipit est une clef de sol intellectuelle qui donne le ton de l'œuvre. Aragon l’a suffisamment montré dans un essai fameux.

• Début du deuxième chapitre de Patachou : « Patachou a six ans...». Incipit du Petit Prince   : « Lorsque j’avais six ans...». 

Page 159, Derème commence un paragraphe par : « Lorsque j’étais petit garçon...» Le Petit Prince s’ouvre sur les souvenirs d’enfance du narrateur.  


11. Dans les premières pages, Derème espère que, lorsque Patachou sera grand, il deviendra « peut-être un général fameux, un académicien tout couvert de lauriers, un célèbre ingénieur, qui aura percé plusieurs isthmes. » (p. 13).

Page 17, il reprend cette idée :  

Je crois que vous avez souri tout à l’heure, quand je vous disais que Patachou deviendrait grand amiral ou maréchal de France, je ne sais plus. Certes, je lis fort mal aux saisons du futur, et peut-être verrez-vous Patachou finir dans un emploi plus modeste. Mais il n’importe guère. L’essentiel, n’est-ce pas qu’il soit heureux et que vous soyez heureux comme lui ?   

Derème souhaite que Patachou aille à «l’essentiel», mais craint que l’avenir ne déçoive ses espérances. 

Saint-Exupéry, au début du Petit Prince, développe le même argument : enfant il possédait l’essentiel, il l’a perdu en vieillissant et a dû devenir aviateur.


12. La liste commune des mots-clés (étoiles, boa, éléphants, rose, baobabs, boîte, muselière...) montre que Saint-Exupéry est parti de Patachou pour développer l’imagerie du Petit Prince. Mais parfois ce n’est pas un mot qui déclenche l’épisode, c’est toute une scène dont Saint-Exupéry donne l’équivalent, soit pictural soit narratif. Nous avons vu comment la scène du chasseur au chapeau poinvous/pointu a donné le dessin du chapeau pointu du chasseur (p. 70). Voici d’autres similitudes, cette fois narratives :

1)  Le personnage du Castor/Renard.

Patachou, p. 33

_ Si je suis sage, tu m’achèteras un castor ?

_ Et que ferais-tu d’un castor ?

_ Je lui dirai : Bonjour, monsieur le castor...

_ Tu es bien poli. Mais que lui diras-tu ?

_ C’est un secret... [...]  

Ce que n’a pu faire Patachou, le Petit Prince va l’accomplir avec un autre animal  : 

_ Bonjour, dit le renard.

_ Bonjour, répondit poliment le petit prince [...] (p. 66). 

Saint-Exupéry a gardé le mot de Derème « poli », mais ici c’est l’animal qui dit « bonjour »10, car c’est lui qui va guider l’enfant. Le secret de Patachou est-il celui que le renard révèle au Petit Prince ?

2) Le personnage du Renard.

La présence du « renard » est latente dans Patachou à la page 197 : « [...] et s’il arrivait un renard [...] ». (Le Petit Prince : « C’est alors qu’apparut le renard. » p.66) Quelques lignes plus loin : « Patachou tu organises encore le monde ; et tu fais les renards quinauds. »

Dans Le Petit Prince, le renard12, en créant des liens d’amitié, organise bel et bien le monde. Mais ce qui caractérise ce renard-là, c’est qu’il voudrait être "apprivoisé". Ce thème préexiste-t-il dans Patachou ? Oui, mais de façon avortée. A la page 116, s’inquiétant des hirondelles qui vont en Afrique12 durant l’hiver, Patachou demande au narrateur : « Tu voudras m’apprendre à les apprivoiser ? ».

Page 81, à propos du poète Orphée, Derème explique : « Quand il chantait, en s’accompagnant de sa lyre, les lions, les tigres, les ours venaient se coucher à ses pieds. »   Orphée sait "apprivoiser" les animaux. Un pouvoir que le Petit Prince exercera sur le renard et le serpent. Un pouvoir que possède aussi Patachou : « Je ne sais quel sentiment mystérieux t’attache aux bêtes.» (p.191). 


13. Patachou, p. 21 :  

Nous allons porter la lettre à la poste. Patachou embrasse l’enveloppe en disant : Bonjour, maman.

_ Tu vois, ta maman est à Valladolid.

_ Alors Valladolid est derrière ce petit trou ?

_ Oui.

_ Mais hier, elle était à Burgos, et nous avons mis la lettre au même endroit. C’est Burgos, hier, qui était là derrière ?

_ Je veux dire...

Il rêve un instant, puis :

_ J’ai compris. C’est la terre qui tourne.

Il est content. Il croit voir, tour à tour, passer toutes les villes d’Espagne derrière la boîte aux lettres. La terre tourne autour de lui. Patachou est le centre du monde.

Patachou fixe au milieu des planètes...  

Le Petit Prince, p 26 :  

J’aime bien les couchers de soleil13. Allons voir un coucher de soleil....

_ Mais il faut attendre...

_ Attendre quoi ?

_ Attendre que le soleil se couche.

Tu as eu l'air très surpris d’abord, et puis tu as ri de toi-même. Et tu m’as dit :

_ Je me crois toujours chez moi ! » 

La terre tourne autour du Petit Prince, comme Patachou imagine qu’elle tourne autour de lui14. 


14.  Patachou est souvent "mélancolique" (p. 57, 172, 225, etc.). De même, le Petit Prince (p. 18, 26, 34, 86, etc.).

Patachou cache un "secret" : «Tu finis par m’avouer le secret de ta peine [...]» (p.173). Le Petit Prince aussi :  « [...] Le cinquième jour, toujours grâce au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut révélé.» (p.27).

Le secret du Petit Prince, c’est qu’il va devoir quitter le narrateur. Dans Patachou, le narrateur se plaint : « [...] ton secret, c’est que tu voudrais t’en aller.» (p. 219). 


15. Le businessman.

1) Dans Patachou, le businessman s’appelle Jérôme, vend des poissons et, bien sûr, parle argent.  

_ Je veux un poisson ! s’écrie Patachou.

_ Mais lequel ? continue Jérôme. Nous avons des soles, des requins, des esturgeons, des baleines...

Patachou voudrait bien une baleine. Il me regarde ; il craint que ce ne soit trop cher. Il demande un requin.

_ Songe que c’est grave, déclare Jérôme. Si, dans l’après-midi, ton requin dévore mes autres poissons, tu devras me les payer.

Patachou me regarde encore ; il hésite et demande un esturgeon. Jérôme détache une page de son carnet et signe un reçu, tandis que je lui remets un sou, en proclamant que tout est hors de prix.

_ Pourquoi as-tu choisi un esturgeon, Patachou ?

_ Parce que l’esturgeon remonte les fleuves. Quand il va savoir qu’il est à moi, il rentrera, peut-être, avec nous à Paris, par la Seine. (p. 56). 

Le narrateur conclut que Patachou a des rêves si proches que c’est comme s’il les possédait, alors que le vendeur a « des lingots d’or dans une mine que nul ne creusera jamais. Mais n’admire-t-il pas ses titres dans un coffre ?» (Patachou  p. 58).

Le Petit Prince, lui, demande au businessman qui accapare « des petites choses qui brillent » : 

_ Et que fais-tu de ces étoiles ?

_ Ce que j’en fais ?

_ Oui.

_ Rien. Je les possède.

[...] _ Et à quoi cela te sert-il de posséder les étoiles ?

_ Ça me sert à être riche.

_ Moi, si je possède un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et l’emporter. Moi, si je possède une fleur, je puis cueillir ma fleur et l’emporter. Mais tu ne peux pas cueillir les étoiles !

_ Non, mais je puis les placer en banque.  (p. 47). 

« Riche » pour  « lingots d’or »  ; « L’esturgeon rentrera [...] avec nous »  pour  « cueillir ma fleur et l’emporter » ; « Coffre »  pour  « banque ». Patachou peut « pêcher son poisson », le Petit Prince peut « cueillir sa fleur ».

2) A la page 159 de Patachou le narrateur raconte que son imagination d’enfant avait transformé un caillou en diamant :  

C’est un diamant, me disais-je. J’ai un diamant.

Dans Le Petit Prince, le businessman explique :  

Quand tu trouves un diamant qui n’est à personne, il est à toi. [...] Et moi  je possède les étoiles, puisque jamais personne avant moi n’a songé à les posséder.

_ C’est vrai, dit le Petit Prince. Et qu’en fais-tu ?

_ Je les gère. (p. 48). 

Gérer ses biens n’intéresse pas le Petit Prince. Et ce qu’il souhaite se trouve déjà dans Patachou  :  

Tantôt, je me disais : mon diamant est un caillou ; et tantôt : mon caillou est un diamant. C’est un peu, je crois, ce qu’on appelle rêver. (p. 159). 

3) Chez Derème, le narrateur apprend à Patachou les secrets de la division :  

Le quotient de vingt par quatre c’est cinq . Tu te rappelleras ?... Bien. Tu as deux bras et deux jambes ; cela fait quatre membres. Je dis quatre . Divise vingt par quatre. Où est le quotient ? Compte au bout de chacune de tes mains ou de chacun de tes doigts. Tu trouves cinq ... cinq doigts. Vingt divisé par quatre donne cinq. (p. 105). 

Cela anticipe les additions forcenées du businessman de Saint-Exupéry :  

Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Bonjour. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et un.  (p. 45). 


16. Outre le vendeur de poissons (p. 56) et le chasseur au chapeau pointu (p. 9) dont j’ai parlé, Patachou rencontre :  Le Cocher (p. 46), le Pêcheur (p. 137), l’Avare (p.157), Clément (p. 176), le Père Noël (p.177), le Contrôleur (p. 204). Les deux personnages dont s’inspirera Saint-Exupéry sont Clément et le Contrôleur.

1) Clément :

Page 56, Clément, qui « a une grande barbe blanche», est comparé au dieu Neptune : « [...] s’il portait un trident, on le prendrait pour Neptune. » Rappelons que Neptune règne sur les mers. 

Le Petit Prince, page 36, rencontre un roi « habillé de pourpre et d’hermine ». L’hermine est synonyme de blancheur. Ce roi est assis sur un trône, que Saint-Exupéry a dessiné : il a des couleurs marines.

Pour ce roi, « tous les hommes sont des sujets » (p. 37) auxquels il ne sait donner que des ordres. Or, page 176, le dialogue entre Clément et Patachou tourne autour du "troupeau" de bêtes que possède Clément.

Patachou a une crise de bâillements, pages 141 à 146. En présence du roi, le Petit Prince a aussi une crise de bâillements15.

2) Le Contrôleur/l’Aiguilleur.

A la page 204, Patachou voyage en train ; arrive le contrôleur ; un court dialogue s’engage. Certes, Saint-Exupéry emploie le mot « aiguilleur » (p. 74) et non « contrôleur ». Mais page 89 de Patachou :  « Cela aurait fait un joli chemin de fer tout rond, avec des aiguilles et des petites gares [...] ».

L’aiguilleur de Saint-Exupéry se plaint de la folie des hommes qui ne tiennent jamais en place. Le thème de l’agitation des hommes et des trains occupe la page 88 de Patachou16. Derème en parle aussi pages 150 et 151. Apprenant que les écrevisses marchent à reculons, Patachou demande :  

_ Pourquoi les hommes ne marchent-ils pas à reculons ?

_ Je n’en sais rien, Patachou. C’est, sans doute, parce qu’ils n'ont pas les yeux derrière la tête. Ils veulent toujours voir où ils vont. Toujours ? On pourrait rêver là-dessus. J’en sais beaucoup qui, dans la vie, ferment les yeux.  

De même, l’aiguilleur reproche aux hommes de dormir :  

Ils ne poursuivent rien du tout, dit l’aiguilleur. Ils dorment là-dedans, ou bien ils bâillent. (Le Petit Prince,  p. 75). 

Dans les deux textes un nombre est précisé : « cinq ou six mille » dit Patachou (p. 151). « Par paquet de mille » précise l’aiguilleur (Le Petit Prince, p. 74). 


17. L’épisode, page 49, de l’allumeur de réverbères qui allume et éteint régulièrement son étoile, a pour point de départ la page 208 de Patachou où l’enfant demande au narrateur : 

[...] S’il tombait une vieille étoile au fond du jardin, elle serait à moi. Tu me la donnerais ?...

_ Volontiers. Mais qu’en ferais-tu ?

_ Je la ramasserais...

_ Tu te brûlerais.

_ Ah !... Je viderais d’abord sur elle toute la carafe d'eau, et puis je la prendrais entre deux doigts, par l’une de ses cornes.

_ Comment ?

_ Eh ! oui, comme une étoile de mer.

_ Mais, alors, mon pauvre Patachou, tu n’aurais plus dans la main qu’une étoile éteinte.

_ Tu pourrais me la rallumer ?

_ Avec mon briquet ? Est-ce que tu crois qu'un homme puisse rallumer les étoiles ?  

La réponse du Petit Prince est : oui. 


18- Lorsque le Petit Prince rencontre le géographe (p. 53), il lui énumère les merveilles de sa planète : d’abord « deux volcans en activité et un volcan éteint », ensuite une rose. Si le mot « géographe » n’apparaît pas dans Patachou, le mot « géologie » y figure, en relation directe avec l’enfance : « Allez donc enseigner la géologie aux enfants ou leur en dire seulement quelques mots vagues ! » (p. 37).  La correspondance peut paraître douteuse. Mais Derème parle aussi, quatre lignes plus haut, du « grondement du feu central »17. 


19. Derème écrit, page 131 : 

Que fais-tu, Patachou ? [...]

_ Je fais le poète ! me répondit-il. Cela n’est pas bien difficile. Dès que j’ai dit un mot, on me donne la rime. Mais il faut crier assez fort.

_ C'est l’écho, Patachou.

_ Eh ! bien, l’écho, c’est la poésie.  

Saint-Exupéry, p. 63 : 

« Le petit prince fit l’ascension d’une haute montagne. [...]

_ Bonjour, dit-il à tout hasard.

_ Bonjour... Bonjour... Bonjour... répondit l’écho.

_ Qui êtes-vous ? dit le petit prince.

_ Qui êtes-vous... qui êtes-vous... qui êtes-vous... répondit l’écho.

[...] Quelle drôle de planète ! pensa-t-il alors. Elle est toute sèche, et toute pointue et toute salée. Et les hommes manquent d’imagination.   

Derème  voit dans le phénomène de l'écho la base de la poésie ; Saint-Exupéry, un manque d’imagination18. 


20. Le dessin de la page 64, qui montre le Petit Prince au sommet d’une aiguille rocheuse a son origine dans Patachou, page 17 :

Et l’on peut être très heureux sans vivre dans la gloire et sans aller s’asseoir, au bruit des acclamations, au sommet de l’Himalaya. Songez qu’il fait très froid au sommet des montagnes ; on s’y enrhume aisément. C’est un lieu dangereux et l’on y est un peu seul.  

Saint-Exupéry, p. 63 :  

Le petit prince fit l’ascension d’une haute montagne ; [...] " D’une montagne haute comme celle-ci, se dit-il donc, j’apercevrai d’un coup toute la planète et les hommes..." Mais il n’aperçut rien que des aiguilles de roc bien aiguisées.

[...] _ Soyez mes amis, je suis seul, dit-il.    

« Sommet de l’Himalaya » pour  « montagne haute comme celle-ci » ; «Vivre dans la gloire » pour  « j’apercevrai d'un coup toute la planète et les hommes » ; « Lieu dangereux »   pour  « aiguilles de roc bien aiguisées » ; « On y est un peu seul »   pour  « je suis seul ». 


21. Dans Patachou, le "voyage" est un leitmotiv (pages 87, 89, 115, etc.) Dans Le Petit Prince aussi. Les voyages successifs des deux héros ont la même base et la même conclusion philosophiques : apprendre la vie, c’est voyager et grandir en perplexité. Si le Petit Prince va de planète en planète, finalement, comme Patachou, il n’y rencontre chaque fois qu’un seul homme.

1)  Patachou "voyage" mais rêve de solitude :  

Je voudrais, dit Patachou, avoir une petite cabane, en haut d’une montagne, et, là, vivre tout seul. (p. 219).

_ Tu ne veux plus voir d’hommes ?

_ Mais non, puisque je veux être seul. (p. 220). 

Prenant le contre-pied, Saint-Exupéry fait voyager le Petit Prince à cause de sa longue solitude : 

Tu n’avais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. » (p. 26)  ; « Soyez mes amis, je suis seul, dit-il. (p. 63).

2) L’un et l’autre ont un "royaume".

Patachou  page 192 : « [...] et tu te contentes d’établir sagement ton royaume imaginaire sur les animaux. » A la page 94, à propos de Patachou, Derème écrit « il est souverain ».

Saint-Exupéry préfère le titre de prince. 


22. Le fameux : « Dessine-moi un mouton» tire son origine de deux formules. L’une offre la même construction syntaxique : « Raconte-moi une histoire.» (p. 68). L’autre est interrogative, et reprise trois fois au fil des pages : « Si je suis sage, tu m’achèteras un castor ? » (p. 33) ; « Tu voudrais m’acheter une sarigue ? » (p. 91) ; « Tu voudras m’acheter une girafe ? » (p. 117).

Ces trois incipits de chapitre ont suggéré à Saint-Exupéry d’introduire son Petit Prince par une demande. L’épisode de la Sarigue19 de Patachou a dû tout déclencher car il occupe un chapitre entier.

Première étape : Le narrateur ne voit pas comment procurer une sarigue à son petit compagnon. Patachou insiste. Le narrateur propose d’aller en demander une aux marchands des Halles (il pense lui acheter un simple rat mort) :  « Oh ! non,  répond  Patachou, je  ne  veux  pas  que  ma  sarigue  soit morte ! » (p. 91). Quand l’aviateur propose un premier mouton au Petit Prince, la réponse est presque similaire : « Non ! Celui-là est déjà très malade. Fais-en un autre. » (p. 14).

Deuxième étape : Le narrateur met en garde Patachou : « Apprends, Patachou, que la sarigue est un carnivore, et même un carnassier. » Patachou est déçu. Le deuxième mouton dessiné par l’aviateur a des cornes. Il déplaît également au Petit Prince. Ni lui ni Patachou ne veulent d’un animal agressif.

Troisième étape : Le Petit Prince reçoit le mouton idéal, mais il est invisible. Patachou aussi aura sa sarigue,  mais plus  tard, c’est pour cela qu’elle est idéale :  

Quand je serai grand, dit-il, moi, j’irai où il faut et je te rapporterai une sarigue. Elle fera nos commissions. On lui attachera une liste au collier, et elle ira toute seule dans les magasins. (p.94). 

L’équivalent du mot « collier » se retrouve  dans le Petit Prince, quand l’aviateur s’exclame : « [...] j’ai oublié d’y ajouter la courroie de cuir ! » (p. 93).

L’épisode de la sarigue/mouton se résume donc ainsi : 1) Formulation de la demande, avec insistance. 2) Proposition d’un animal jugé par l’enfant trop laid. 3) Proposition d’un deuxième animal, jugé par l’enfant trop agressif. 4) Solution d’un animal invisible, l’un se situant dans le temps, l’autre dans l’espace : l’intérieur d’une caisse. 


23. Autre préoccupation du Petit Prince : la guerre des moutons et des fleurs. 

_ Il y a des millions d’années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d’années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n’est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien ?  (p. 29). 

Patachou aussi se préoccupe d’une guerre, celle des fraises et des canards :  

_ Elles sont sans défense. Les canards les dévorent. Si, du moins, elles avaient une grosse coquille, comme les noix, elles seraient à l’abri des becs, alors que les noix, si bien cuirassées, n’ont rien à craindre, car les canards ne grimpent pas aux arbres. (p. 217). 

Quelques pages plus loin, déçu de ne pouvoir empêcher les lions de mordre : 

_ Alors, me dit Patachou avec mélancolie, on ne peut rien changer dans ce monde ?

_ Je le crains. Les chats mangeront toujours les souris et les lions mangeront des hommes.

_ Ce n’est pas la peine que je me donne tant de mal avec mes inventions. C’était pourtant joli, ma troupe de lions, la queue entre les dents.20 (p. 225). 


24. On peut lire dans Patachou, page 209, cette strophe : 

Attendons, Patachou, qu’une étoile se pose,

Et rions en rêvant qu’un miracle demain

Nous consolera de la rose

Qui s’effeuille dans notre main.

Selon la technique des mots-inducteurs, que pratiqua notamment Lautréamont, mais aussi Nerval21 et Baudelaire22, on obtient :  ATTENDONS UNE ETOILE ET RIONS EN REVANT DE LA ROSE.

Saint-Exupéry écrit  :  

Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c’est doux, la nuit, de regarder le ciel. (p. 86).

_ Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire. (p. 87). 

Autre exemple, Patachou  page 187 :

Patachou, Patachou, c’est la nouvelle année.

La dernière est déjà fanée.

Où sont tombés les jours que nous avons vécus ?

Tu les as vus glisser ainsi que des écus

Au fond des caisses éternelles.

Le bon Dieu les conserve et nous dira plus tard :

« N’avez-vous bu trop de nectar

Quand vous rêviez sous les tonnelles ? »

Il nous accueillera dans un grand carrefour.

Les anges joueront du tambour ;

Les astres formeront des grappes de cerises.

Mais il fera tinter l’écu des jours,

Pour nous rappeler nos sottises

Et toi... 

Nous obtenons, avec la méthode des mots-inducteurs, le schéma narratif du Petit Prince  : ANNEE DERNIERE TOMBE - CAISSE REVIEZ - ASTRES TINTER NOUS RAPPELER TOI. Autrement dit :  L’année dernière est tombé le Petit Prince – Il a rêvé d’une caisse qui abriterait l'essentiel – Aujourd’hui les étoiles me le rappellent sans cesse. 


25. L’image des étoiles qui s’agitent en grelots (« C’est comme cinq cents millions de grelots... » Le Petit Prince,  p. 91) se trouve dans Patachou à la page 169, où le narrateur, étonné que Patachou puisse entendre courir au loin un lapin, demande : « Il avait un grelot ? »23. Mais plus que le mot, c’est l’idée d’un grelot céleste qui a retenu l’attention de Saint-Exupéry. Après avoir rencontré un cocher âgé avec son vieux cheval, Patachou demeure songeur : 

_ A quoi penses-tu, Patachou ?

_ Je pense qu’il y aura bientôt un cheval au ciel.

_ Au ciel ?

_ Quand le vieux cocher frappera à la porte, tu crois que saint Pierre laissera le cheval dehors ? Le cocher aurait trop de chagrin.

_ Mais les chevaux ne vont pas au paradis.

_ Alors le cocher ne voudra pas abandonner son cheval. Ils resteront tous deux, en l’air, avec la voiture.

Hier soir, il fit sur Paris un petit orage. Au premier tonnerre, Patachou dit :

_ Tu entends ? C’est le fiacre qui roule dans les nuages. Il tourne autour du ciel en attendant que saint Pierre ouvre la porte.  (pp. 47 et 48). 

Le mot « grelots » (Patachou, pp. 91 et 224) rattaché à l’idée d’un « cheval au ciel » (p. 47) et d’ « un fiacre qui roule dans les nuages » (p. 48) prépare l’image des grelots dans le ciel étoilé. 


26. D’autres exemples d’utilisation de mots-inducteurs.

1) Mots inducteurs pris de pages différentes de Patachou : « Une bête à poche lui paraît bien digne d’estime » (p. 94) ; « C’est une vieille caisse à biscuits, et c’est là-dedans qu’il entasse son trésor.» (p. 157). Le Petit Prince : « Puis, sortant mon mouton de sa poche, il se plongea dans la contemplation de son trésor. » (p. 16).

2) Mots inducteurs pris d’une même page : « [...] son éléphant de velours rouge qui a des oreilles de chien [...] » (Patachou, p. 143). Quelques lignes plus loin : « Ah ! mon pauvre éléphant, que deviendrons-nous, s’il me pousse une corne cuite ? ». Le Petit Prince : « Ton renard... ses oreilles... elles ressemblent un peu à des cornes... » (p. 82).

3) Mots inducteurs pris d’une même phrase :

·Le narrateur dans Patachou  : « Lorsque j’étais petit garçon, j’étais une sorte de faux avare ; c’est-à-dire que loin d’enfouir un trésor, je faisais justement le contraire. » (p. 159). Le narrateur dans Le Petit Prince : « Lorsque j’étais petit garçon j’habitais une maison ancienne, et la légende racontait qu’un trésor y était enfui. » (p. 78).

·Patachou : « [...] tu pourrais sauter dans ma chambre ou me raconter des histoires africaines... » (p. 143). Le Petit Prince : « J’ai alors beaucoup réfléchi sur les aventures de la jungle [...] » (p. 9).

· Le narrateur dans Patachou : « Et, tout à coup :  — J’ai compris !...» (p. 67). Le narrateur dans Le Petit Prince : « Ah ! petit prince, j’ai compris, peu à peu [...] » (p. 26). 


27. Le thème des "étoiles toutes proches" : 

Patachou : « [...] j’ai rêvé comme toi qu’une étoile bientôt, comme un bel oiseau de lumière, se poserait dans mon jardin. » (p. 208).

Le Petit Prince : « [...] je vais te faire un cadeau...[...] Toi, tu auras des étoiles comme personne n’en a... » (p. 87). 

Les étoiles peuvent être à portée de main et devenir un trésor : 

Patachou : « L’univers n’a-t-il pas été créé pour que ce petit garçon puisse rire et danser ? Le soleil n’est là que pour éclairer ses jeux, et si, le soir, les étoiles s’allument, c’est pour veiller sur le sommeil innocent de Patachou. » (p.46).

Le Petit Prince : « Tu auras envie de rire avec moi. Et tu ouvriras parfois ta fenêtre, comme ça, pour le plaisir. [...] Ce sera comme si je t’avais donné, au lieu d’étoiles, des tas de petits grelots qui savent rire...» (p. 88). 


28. Le thème des "larmes" : 

Il se mit à pleurer silencieusement. Qu’aurions-nous pu répondre à des larmes si pures ? (Patachou  p. 204).

« Je ne savais comment l’atteindre, où le rejoindre... C’est tellement mystérieux le pays des larmes. (Le Petit Prince  p. 30).  


29. Le thème le plus important du Petit Prince est philosophique : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » (p. 72) Variante : « Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur. » (p. 81).

1)  « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »

Le mot « essentiel » figure dans Patachou, page 17 : « L’essentiel, n’est-ce pas qu’il soit heureux et que vous soyez heureux comme lui ? » Aussi à la page110 : «[...] l’essentiel, c’est de voguer sur de beaux songes. » Page 100, on rencontre une notion identique à « L’essentiel est invisible pour les yeux » : « Les îles sont en nous que nous cherchons ailleurs…  Notre fortune est en nous-mêmes.»

2) « Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le cœur. »

Cette phrase trouve son origine dans une des plus belles scènes de Patachou, pages 49 à 52. On a raconté à Patachou que les aveugles voient la nuit grâce aux yeux fermés des enfants endormis. Comme Patachou a bon cœur, il est pressé de rentrer dormir pour prêter ses yeux qu’il ferme déjà tout en marchant. Derème a écrit : « Il est l’heure de prêter les yeux aux aveugles » ; Saint-Exupéry renverse la phrase pour obtenir l’allégorie « les yeux sont aveugles ». La marche "en aveugle" de Patachou vers sa maison a lieu la nuit. Il en est de même de la marche du Petit Prince vers le puits. Pour avancer, Patachou tient la main du narrateur. Le Petit Prince aussi. 


30. Un puits occupe une place vitale dans Le Petit Prince (p. 80). Il a trois caractéristiques : Il surgit soudainement. Il apparaît à la fin du conte. Il ressemble « à un puits de village ».

Le mot « puits » se trouve une première fois dans Patachou,  page 38 : « Au fond du puits, qui est fort profond, on voit en plein jour les étoiles. » Aussi page 39 : « Et l’on dit que la vérité sort du puits ! Mais, ce puits, Patachou l’emplit de ses rêves. » Toutefois ce n’est pas ce puits-là qui a stimulé l’imagination de Saint-Exupéry. C’est celui auquel un chapitre entier est consacré (Patachou, p. 199 à 201) et qui a trois caractéristiques : Il surgit soudainement. Il apparaît à la fin du conte. Il ressemble « à un puits de village ».

L’incipit de ce chapitre a sans doute tout déclenché : « Nous avons un puits ! ».  Quelques lignes plus loin : « Un puits, il y a un puits au fond du jardin ! C'est la surprise. » C’est un faux puits, donc sans eau. Avec, toutefois, un « seau » et une « chaîne ». Saint-Exupéry prend encore une fois l’exact contre-pied : la découverte de son puits occupe la dernière ligne, et non la première, d’un chapitre (le XXIVème). Il conserve le « seau », préfère le mot « corde » au mot  « chaîne » et, bien sûr, axe tout sur l’eau (« J’ai soif de cette eau-là », p. 80). Mais la surprise de l’aviateur est aussi grande que celle du narrateur de Patachou.

Patachou comme le Petit Prince se penche, en premier, sur la margelle. La "grande personne" suit, méfiante.

Le narrateur de Patachou est déçu puisque le puits est factice (la tante Mathilde l’a fait installer durant leur absence). L’aviateur, au contraire, exulte, heureux pour son compagnon : « Et je compris ce qu’il avait cherché ! » (p. 81).

Dans ce puits, Saint-Exupéry voit « trembler le soleil ». A rapprocher de « Au fond du puits, qui est fort profond, on voit en plein jour les étoiles. » (Patachou, p. 38). Mais Derème n’accède pas au sublime. Où le Petit Prince entend un chant, Patachou ne parvient qu’à rasséréner son interlocuteur :  

Peut-être, insinue Patachou, qu’il grandira...

_ Que nous contes-tu ?

_ Eh ! oui, moi je grandis en hauteur : puisque j’ai toujours les pieds par terre, c’est donc que ma tête monte. Les poissons et les lézards grandissent en longueur ; peut-être que les puits grandissent en profondeur. On ne sait pas... Quand il sera assez vieux, nous aurons peut-être peur de tomber ?  


31. Quoique le serpent serviable appartienne en propre au Petit Prince, on  remarque, à la page 28 de Patachou, un groupe de mots-inducteurs :  

« Dans sa chambre, il n’y a qu’un radiateur. Je ne sais rien de plus triste que cet instrument. On dirait un serpent de fer, – une invraisemblable couleuvre, qui serait chaude

L’adjectif « triste » donne le ton de l’épisode. Le mot « instrument » a pu suggérer à Saint-Exupéry l’idée de faire du serpent "l'instrument" du destin.

— « Serpent de fer » pour « bracelet d’or » (expression qui définit la première apparition du serpent dans Le Petit Prince, p. 60).

— La « couleuvre », serpent inoffensif, devient par antithèse un serpent à « venin » (Le Petit Prince, p. 84). 

— L’inverse de "chaude", c’est "froid". Froid comme la mort. Le serpent va "refroidir" le Petit Prince.

Et le mot « radiateur » ? Le Petit Prince,  p. 84, le serpent « se faufila entre les pierres avec un léger bruit de métal.» La précision « léger bruit de métal » surprend. Pourquoi un serpent ferait-il ce bruit ? La réponse tient dans le mot « radiateur ». Car le radiateur dont il s’agit dans Patachou « vibre » et fait le « bruit des sirènes ». Or, quel animal vibre et siffle, et, symboliquement, tente l’homme mieux que ne le peut une sirène ?

Le narrateur fait croire à Patachou que le radiateur « communique avec l’Océan ». Saint-Exupéry écrit : « [...] le serpent se laissa doucement couler dans le sable, comme un jet d’eau qui meurt [..] » (p. 84). 


32.  Patachou, page 114 : 

_ [...] je voudrais avoir des ailes.

_ Pour quoi faire ?

_ Pour aller ailleurs.

_ Et quand tu serais ailleurs ?

_ Je reviendrais.

_ Alors ce n'est pas la peine de bouger. Tu es là, assis à côté de moi ; tu n’as qu’à supposer que tu as fait un grand voyage.

Patachou ne sourcille pas ; il prend son air le plus grave :

_ Tu ne crois pas si bien dire, fait-il.

_ Comment ?

_ Oui, j’ai fait un grand voyage.

_ Et quand cela, Seigneur ? Nous ne l’avons pas su.

_ L’autre nuit.

_ Et où es-tu allé ? Qu’as-tu vu ?

_ Je suis parti sur la pointe des pieds dès que j’ai pensé que tu dormais. Il faisait un beau clair de lune.   

Patachou raconte qu’il est parti la nuit. Le Petit Prince promet au serpent :  

J’y serai cette nuit. (p.83). 


33. Patachou, page 61, parle de l’après-vie (celle des éléphants) :  

_ Ils feront semblant de brouter, au clair de lune.

_ Ils feront semblant ?

_ Oui ; les éléphants morts n’ont pas faim. » 

Le Petit Prince, page 88 :  

J’aurai l’air d’avoir mal... j’aurai un peu l’air de mourir.   

Pour l’un comme pour l’autre, l’après-vie n’est pas l’image qu’on en a. Les éléphants n’ont pas faim, le Petit Prince n’aura pas mal. La lune est présente dans les deux évocations. 


34. Dans les dernières pages de Patachou, on apprend : « Patachou, mon ami, voici le premier de l’an.» (p. 171). Puis à la page suivante : « Tu finis par m’avouer le secret de ta peine. » Car Patachou est triste, comme le sera le Petit Prince qui, à la fin du récit, parle lui aussi d’un anniversaire : « Cette nuit, ça fera un an. Mon étoile se trouvera juste au-dessus de l’endroit où je suis tombé l’année dernière» (p. 86). Il est encore question dans Patachou, page 187, d’un premier de l’an. Quelques lignes après se trouve la poésie, déjà citée, qui résume toute l’histoire du Petit Prince  : 

 Patachou, Patachou, c’est la nouvelle année.

La dernière est déjà fanée.

      Où sont tombés les jours que nous avons vécus ? [...]   

Chez Saint-Exupéry, l’anniversaire, lié à la chute du Petit Prince sur notre terre, est dramatisé. 


35. A la fin de Patachou : 

_ [...] Tu t’ennuies avec nous ?

_ Oh ! non, puisque je vous dis tous mes secrets.

_ Oui, mais ton secret, c’est que tu voudrais t’en aller. (p. 219). 

Le Petit Prince, lui, gardant précieusement son secret, s’en est réellement allé. Chez Derème, le départ est allégorique : Patachou va quitter l’enfance. Chez Saint-Exupéry, c’est un départ réel : le Petit Prince quitte la terre.

La philosophie de Derème : « [...] et c’est, sans doute, le grand secret du bonheur que de tirer de la tristesse même une manière de consolation. » (p. 101). Celle de Saint-Exupéry : « Maintenant je me suis un peu consolé. C’est-à-dire... pas tout à fait.» (p. 91).

Dans les deux cas, tristesse et joie sont mêlées.  Derème écrit :  

Goûte l'heure qui sonne...

Et souris à la vie avec des yeux contents.  

Saint-Exupéry :  

Et j’aime la nuit écouter les étoiles. C’est comme cinq cents millions de grelots. [...] Regardez le ciel. Demandez-vous [...].  

« Goûte »  pour  « j’aime » ; « L’heure qui sonne »  pour  « écouter les étoiles [...] millions de grelots » ; « Yeux contents »  pour  « Regardez le ciel ».

Derème préconise aux "grandes personnes" de savoir vieillir. Saint-Exupéry, trop héroïque pour s’y résigner, ne peut que regretter l’enfance. 


36. Dernières pages de Patachou :  

Il suffit d’être éloigné des choses ou de ne les plus voir, pour rêver librement et heureusement sur elles et pour leur prêter tous les mystères [...] (p. 201). 

Dernière page du Petit Prince  :

[...] rien de l’univers n’est semblable si quelque part, on ne sait où, un mouton que nous ne connaissons pas a, oui ou non, mangé une rose... (p. 93). 


37. Comment résumer Le Petit Prince  en une phrase ? C’est l’histoire d’un aviateur qui, après un atterrissage forcé dans le désert africain, rencontre un enfant magique grâce auquel il oublie sa peur.

Les éléments qui définissent cette histoire tiennent dans une phrase de Patachou, page 224. Patachou rêve de neutraliser tous les animaux méchants :  

Si je réussis, il n’y aura plus aucun danger à traverser les déserts. [...] On ne tremblera plus en Afrique24. 


38. Ce qui relie, symboliquement, les deux personnages du Petit Prince,  ce sont les "ailes" que chacun possède. L’un d'acier, l’autre invisibles. Dans Patachou le mot "ailes" apparaît page 147, dans un dialogue réduit à l’essentiel :

_ Ah !... je voudrais avoir des ailes.

_ L’homme a fait des avions. 

Les ailes dont rêve Patachou, le Petit Prince en héritera. 


39. Trois autres phrases de Patachou  définissent le Petit Prince et préfigurent son drame : 

Ce jeune enfant sera peut-être métaphysicien.  (p.76).

[...] nous avons tous notre petite étoile. C’est un beau rêve, et ce n’est rien. (p. 26).

Notre ciel secret est toujours plein d’étoiles qui ont brillé sur notre enfance et c’est en ce sens que nous redisons parfois le vers fameux des Méditations :

L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. (p. 237). 

Le Petit Prince est ce dieu tombé des cieux : 

Et j’étais fier de lui apprendre que je volais. Alors il s’écria : 

_ Comment ! tu es tombé du ciel !

_ Oui, fis-je modestement.

_ Ah ! ça c’est drôle... [...] Alors, toi aussi tu viens du ciel ! (p.15).  

Patachou finit où commence Le Petit Prince. 


40. Pour clore ma démonstration, je voudrais signaler d’autres mots-inducteurs. Il s’agit de certains titres de chapitres de Patachou. A eux seuls, ils racontent, schématiquement, la thématique du Petit Prince :

Chap. 3 : L’étoile de Patachou

Chap. 7 : Patachou et la Planète 

Chap. 10 : Les yeux fermés de Patachou (= "l'essentiel est invisible pour les yeux")

Chap. 12 : Patachou et les éléphants (= le boa et l'éléphant)

Chap. 40 : Le puits de Patachou 

Chap. 41 : Le chevreau de Patachou (= le mouton)

Chap. 42 : Patachou et les étoiles

Chap. 45 : Patachou et la solitude. 



III- CONCLUSION 


Je ne peux espérer avoir retrouvé toutes les associations d’idées, les métamorphoses dont Saint-Exupéry s’est rendu maître. Essayant, après coup, de montrer les équivalences, je n’ai pu que gauchir sa virtuosité. Mais il est à présent devenu nécessaire de se demander s’il est raisonnable de penser que Saint-Exupéry a pu utiliser l’œuvre d’autrui.

Un document le prouve qu’aucun biographe, à ma connaissance, ne signale. Il s’agit d’un article de la revue Icare (n° 108), paru en 1984. Il est signé Paul Dony qui fréquenta Saint-Exupéry à l’époque où tous deux travaillaient à l’Aeroposta Argentina (de 1929 à 1931) : 

Quand il arrivait chez nous et nous trouvait seuls, ma femme et moi, Saint-Exupéry manquait rarement de s’emparer du dictionnaire analogique de Rouaix, les Idées suggérées par les mots , à portée de main sur ma table. C’était l’occasion d’un petit jeu dont il raffolait. Il feuilletait silencieusement le volume jusqu’à ce qu’il y eût trouvé un mot clef sous lequel se rangeaient deux termes sans lien apparent ou d’un rapprochement trompeur. Alors, il interrogeait : « Quel rapport y a-t-il entre caisse et roulement ? » Si l’un de nous répondait : Finances, il triomphait : « Pas du tout : tambour ! »... « Entre dur et lit ? » C’était maçonnerie. [...] D’autres fois, Saint-Exupéry prenait au hasard un volume de vers dans ma bibliothèque et, choisissant un sonnet quelconque, s’amusait à reprendre le même thème sur les mêmes rimes. « Je recommence la littérature française »25, disait-il.  

Paul Dony présente deux sonnets d’auteurs mineurs (Henri Rouger et Edmond Picard), et leur adaptation  par Saint-Exupéry. Quelques exemples : en plus de la rime, deux mots du poème de Rouger, « algues » et « âpre », se retrouvent chez Saint-Exupéry. Mais « Assis sur la plage » est devenu « barque » ; « Tombeau » est devenu « bonheur »  ; « Bruit sans parole aussi vain que la vie «  est devenu « âpre sel d'une autre vie ». Ce qui est perçu négativement par Rouger devient positif pour Saint-Exupéry. De même pour le sonnet d’Edmond Picard.  Dans les deux cas, le défaitisme fait place à l’héroïsme. Cette volonté de redresser ce qui peut l’être, Saint-Exupéry la manifestera aussi lorsqu’il écrira Le Petit Prince.

On objectera que « recommencer la littérature » n’était qu’un jeu intellectuel de sa jeunesse26, que Saint-Exupéry a suffisamment vécu et imaginé pour ne pas avoir besoin d’utiliser un livre existant. Certes, toutefois :

a) Le Petit Prince est, de toutes ses œuvres, la seule qui lui ait été commandée, en l’occurence par son éditeur américain Curtice Hitchcock. Son biographe Curtis Cate souligne par deux fois : « L’idée d’écrire un conte pour enfants n’était pas du tout à l’origine le fait de Saint-Exupéry » et un peu plus loin : « L’idée prit Saint-Exupéry complètement au dépourvu »27.


b) Saint-Exupéry traverse une crise morale quand il entreprend le Petit Prince. Marcel Migeo, un de ses biographes, écrit : « Durant la triste période qui précéda la guerre, Saint-Exupéry n’écrivait plus. Son séjour à New York est à mettre aussi parmi les années sombres de sa vie »28. La journaliste Yvonne Michel, qui le vit souvent à New York, confirme : « Malgré ses apparences, Saint-Exupéry fut profondément malheureux durant son exil aux Etats-Unis. D’abord parce qu’il ne participait pas à la guerre qui se poursuivait. Ensuite parce qu’il souffrait de l’hostilité du clan des Français qui s’exerçait contre lui29.

Jusque dans ses conférences new-yorkaises Saint-Exupéry parle de ses dilemmes et de ses difficultés. Il est un patriote loin de son pays. Un écrivain dans une ville où le dollar est roi. Lui qui vise les hauteurs de l’Esprit est parvenu au sommet d’un building de Central Park South où il habite30. On appelle cela la gloire. Derrière ce mot sonore, Saint-Exupéry cherche la réponse du ciel. Sait-il qu’il n’écrira plus de grande œuvre ?  Rien ne permet de l’affirmer. Mais ce conte commandé pour Noël sera son œuvre la plus courte. Aussi la plus intime. Et, paradoxalement, cette intimité qui lui est depuis quelque temps difficile, il va la prendre ailleurs qu’en lui. Car le besoin d’écrire un conte de Noël n’est pas né d’une inspiration, mais d’une commande éditoriale 31. C’est un challenge, comme disent les Américains, un défi dans lequel, malgré les conditions défavorables, Saint-Exupéry a voulu, comme toujours, mettre le meilleur de lui-même.


c) Saint-Exupéry doutait de lui durant l’écriture du Petit Prince. Ses proches ont témoigné que l’élaboration de cette œuvre fut lente, morcelée, indécise. Jamais Saint-Exupéry ne sollicita autant l’avis d’autrui que pour Le Petit Prince. Il interroge ses familiers, jusqu’à sa secrétaire et même l’institutrice américaine qui lui apprend les rudiments d’anglais. André Maurois, qui a séjourné chez les Saint-Exupéry dans leur grande maison de Long Island, confie : « […] il nous lisait ce qu’il venait d’écrire et Consuelo, poète elle-même, suggérait d’ingénieux épisodes ! »32. Ce n’est pourtant pas dans les habitudes de Saint-Exupéry de solliciter tout le monde. Une explication à ce comportement : il sait que cette œuvre-là n’a pas pour origine l’inspiration, qu’elle est venue, à l’instar de la rose, sous forme de graine apportée d’ailleurs. Saint-Exupéry travaille la nuit. Marcel Migeo précise qu’il « va écrire dans un petit restaurant où il lui arrive de passer la nuit, ne rentrant chez lui qu’à l’aube »33. Certes, il ne veut pas être dérangé – mais cette fois-ci, peut-être ne veut-il pas être "surpris" ? 


***


Durant le printemps 1942, son éditeur américain commande à Saint-Exupéry un conte de Noël. L’année précédente, le 24 octobre, était mort le poète Tristan Derème34. J’émets cette hypothèse :  entre octobre 1941 et le printemps 1942 Saint-Exupéry apprend la disparition de Derème dont il a lu une ou plusieurs œuvres35. Que Saint-Exupéry ait découvert Patachou en 1927, en 1942 ou dans l’intervalle, n’a au fond que peu d’importance. Il a toutefois confié à son ami Didier Daurat que la naissance du Petit Prince datait de 1927. Or, Saint-Exupéry est resté à Cap Juby de 1927 à 1929, soit exactement le temps qui s’écoula entre la naissance de Patachou  dans les journaux  (revue Le Divan  en 1927, puis chroniques dans Le Figaro ) et sa parution en livre (1929). Durant son séjour à Cap Juby, Saint-Exupéry, loin de toute vie littéraire, écrivait à son ami Charles Sallès : « Envoie-moi des bouquins. » Sallès lui en expédiera plusieurs colis.

En 1942, la nécessité d’écrire un conte pour Noël l’incite tout naturellement à rouvrir Patachou, car il avait noté pour lui-même, en 1936 : « Relire les livres de l’enfance oubliant entièrement la part naïve qui n’a point d’effet, mais notant tout le long les prières, les concepts charriés par cette imagerie. » (Carnets  I, 20, Ed. de La Pléiade, T. I, p. 463). L’évidence s’impose à Saint-Exupéry : lui qui craint de ne pas trouver le ton juste a devant les yeux  Patachou, Petit garçon - le meilleur raccourci pour aller au chef-d’œuvre auquel il aspire35

Ainsi prévenue, la critique peut régler ses téléscopes. On sait désormais de quelle planète est "tombé" le Petit Prince. 
 

« Il n’est de fertile que la grande collaboration

de l’un à travers l’autre.

Et le geste manqué sert le geste qui réussit.

Et le geste qui réussit montre le but qu’ils poursuivaient

ensemble à celui qui a manqué le sien.»

Saint-Exupéry, Citadelle, chap. IX. 
 

                                                                                                 

Notes et références


1. Pour définir d’un mot l’ouvrage de Derème, Robert Sabatier a choisi l’épihète « charmant » (Histoire de la poésie française des origines à nos jours, 1975-1982).

2. Un éditeur du Béarn, patrie de Derème, a réédité à faible tirage Patachou, Petit garçon en  1989 (J. & D. Editions).

3. Dans le cours de cette étude, je me réfère à l’édition Emile-Paul Frères, 1929 (16ème édition). Pour Le Petit Prince, à l’édition N.R.F.  Gallimard. C’est, à quelques mots près, la mise en page de la collection Folio junior et celle de la Bibliothèque de La Pléiade (édition de 1959). 

4. Les mots soulignés de Patachou le sont par moi. Ce sont les mots-inducteurs, qui ont déclenché chez Saint-Exupéry le mécanisme d’adaptation, dont je parle plus précisément à la fin de cette étude.

5. Je ne veux pas dire que Patachou et Le Petit Prince racontent la même histoire, ni qu’ils sont des œuvres similaires. Patachou, Petit garçon  se présente comme une série d’épisodes de la vie d’un enfant de six ans, l’accent étant mis sur les rapports privilégiés que ce dernier entretient avec le narrateur. Découpé en quarante-neuf chapitres, le livre compte 229 pages. Sa composition s’étant étalée sur de nombreuses années, puisqu’il s’agit pour l’essentiel de textes parus dans la presse, l’ensemble en souffre un peu. Patachou n’est pas un conte, il n’en a ni la concision, ni l’homogénéité. Il ne possède pas davantage la rigueur symbolique du Petit Prince. Son imagerie, toujours charmante, parfois mièvre, ne vise jamais au sublime. Et sans doute est-ce pour cela que ce livre a stimulé Saint-Exupéry qui a systématiquement magnifié ce qui pouvait l’être dans Patachou.

6. Dans Le Petit Prince un autre personnage porte une écharpe : l’allumeur de réverbères. C’est «le seul dont j'eusse pu faire mon ami », nous confie le Petit Prince. Avec l’allumeur, Saint-Exupéry a peut-être mis en scène l’oncle de Patachou (le narrateur) qui parle aussi des heures et s’inquiète, comme l’allumeur, du temps qui passe : « Au fond, Patachou, c’est toi qui as raison, et les journées n’ont pas toutes la même longueur, ni les heures [...]» (p.172).

Le Petit Prince dit encore : « [...] c’est le seul qui ne me paraisse pas ridicule. C’est, peut-être, parce qu’il s’occupe d’autre chose que de soi-même. » (p. 52). L’oncle/narrateur de Patachou a pour caractéristique de "s’occuper" de l’enfant.

7. La répétition de l’expression « ses quatre épines » (p. 32, 36, 56, 91) montre que Saint-Exupéry a recherché un effet de style. Il n’est donc pas inutile d’en vérifier l’origine. On trouve dans Patachou, à propos d’un lapin :  « [...] les quatre poils de sa moustache raide. » (p. 96) Le lapin est l’ennemi des fleurs. Donc des roses.  On lit aussi dans Patachou, à propos d’un castor : « Quatre dents, ou plutôt quatre terribles scies ». (p. 34).

8. Le Petit Prince reprend  cette idée, page 72, lorsqu’il pense à sa rose  : « [...] c’est elle dont j’ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons) ».

9. Dans Patachou, le narrateur  assure sa "survie" en écrivant des articles pour les journaux. Dans Le Petit Prince, l’aviateur doit assurer sa survie en réparant le moteur de son avion. Tous deux se "noircissent" les mains, l’un avec de l’encre, l’autre de cambouis.

10. Derème aime commencer ses dialogues par  un "Bonjour" (p. 14, 33, 95) que Saint-Exupéry systématise (p. 45, 50, 62, 63, 64, 66, 74, 75).

11. Le mot « poule » apparaît souvent dans Patachou  (p. 102,103,130,173, etc.). A la page 186 : « [...] cette volaille est crue. C’est un festin pour les renards ou pour les loups ». Le renard du Petit Prince parle aussi de poules (et de chasseurs).

12. Notons que les hirondelles « vont en Afrique », où atterrira aussi l’aviateur.

13. Page 96 de Patachou, il est question de « soleils couchants ».

14. Patachou, page 38 : « [...] Je lui ai conté, un soir, que toute la terre n’était pas au même instant noyée dans la nuit et qu’au moment où Patachou se couche à Passy, c’est l’heure où, de l’autre côté du monde, un autre Patachou s’éveille. » Le Petit Prince, page 26 : « Quand il est midi aux Etats-Unis, le soleil, tout le monde le sait, se couche sur la France. Il suffirait de pouvoir aller en France en une minute pour assister au coucher du soleil.»

C’est la même idée.

15. Patachou, p. 145 : « Patachou est assis devant lui et bâille. » (p. 145)  ; Le Petit Prince,  p. 37 : « Il est contraire de bâiller en présence d’un roi. » ; Patachou  p.145 : « [...] il bâille maintenant avec ostentation.» ; Le Petit Prince  p. 37 : « Je ne peux pas m'en empêcher, répondit le petit prince tout confus. J'ai fait un long voyage et je n'ai pas dormi...».

16.                                              « Sifflet. L'espace fuit ; l'heure lève le camp.

[...] Une autre gare brille.

Gare de l'Est, Lancry, République, Oberkampf

Richard-Lenoir, Bréguet-Sabin, Bastille.

     [..] Une gare s'efface ; une gare paraît.» (p. 88)

D’autres mots rattachés à ce thème sont disséminés tout au long de Patachou : « locomotives » (p. 38), « gares » (p. 59, etc.), « trains » (p. 85, etc.).

17. Il manque ici la rose, me dira-t-on. Oui, mais deux lignes plus tôt, cette plainte : « N’arrache pas mes géraniums ! » (p. 37) Géraniums et rose sont des fleurs. Et si la rose est absente de cette page de Derème, on retrouve, à la page suivante, son principal trait de caractère, lequel chez Derème appartient à Patachou  : « il tient à demeurer un personnage unique en l’univers. » (p. 38).

18. Prendre le contre-pied des opinions d’autrui est un trait caractéristique de l’auteur. Voir à la fin de cette étude la méthode d’adaptation de  Saint-Exupéry. 

19. Mammifère de la sous-classe des marsupiaux.

20. Le mot « lions » a pu donner à Saint-Exupéry l’idée des tigres qui rôdent autour de la rose (« Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes. », p. 32). Cependant on trouve dans Patachou le mot « tigre » : « J’ose à peine parler. Je n’ose à peine bouger. J’ai peur du tigre.» (p. 31). Ce tigre est en fait un chat, prénommé Clodomir. Mais le tigre dont s’inquiète la rose ne serait-il pas, lui aussi, un simple chat ?

21. Cf. la découverte, en 1945, de Georges Le Breton, Nerval, poète alchimique  (rééd. 1994. Ed. Quatuor).

22. Cf. P. Guiral et  C. Pichois à propos du poème "L’Albatros" de Baudelaire "inspiré" par "L’Albatros" de Polydore Bounin (Revue d'Histoire littéraire de la France , déc. 1957).

23. Il sera encore question, page 224, d’un grelot attaché à un chat.

24. Le mot « Afrique » apparaît dans Patachou  pages 113, 114, 116, 119. Le mot « désert » à la page 60.

25. Nous soulignons.

26. Paul Dony témoigne : « Il y avait en lui un côté "jeu" qui était adorable et fascinant. Il était le magicien des mots et des cartes. En nous le révélant enjoué et badin, les divertissements qu’il inventait éclairent un aspect de son visage qui est peut-être resté un peu dans l’ombre.» (Revue Icare , n° 108, p.103).

27. Saint-Exupéry, laboureur du ciel, 1994, p. 442.

28. Saint-Exupéry, 1958, p. 234.

29. Revue Icare , n° 108.

29. Marcel Migeo dit qu’il habitait au 21ème étage. Curtis Cate au 23ème. Paul-Emile Victor au 27ème. Mais pour Saint-Exupéry ce ne pouvait jamais être assez haut.

31. Son éditeur américain lui commanda un "conte de Noël". Comme fait exprès, le mot « conte » revient souvent dans Patachou. Deux phrases sont peut-être à l'origine de tout. L’une, qui pourrait être la question de l’éditeur : « Avez-vous écrit votre conte de Noël ? » (p. 31). L’autre, qui sera la réponse de l’auteur : « Ne pensez point que ce soit un conte. » (p. 122). Le Petit Prince  est un conte pour enfants, mais il n’est pas que cela.

32. De Proust à Camus, 1965, p. 214. Saint-Exupéry se confia également beaucoup à Annabella Power (épouse de l’acteur hollywoodien Tyrone Power), avec laquelle il parla de La Petite Sirène d’Andersen.

33. Saint-Exupéry, 1958.

34.La mort de Derème ne passa pas tout à fait inaperçue. Plusieurs journaux littéraires lui consacrèrent des articles. La revue Le Divan publia un numéro spécial pour lui rendre un hommage ; les collaborateurs de cette revue sont des proches de la N. R. F. qui publie Saint-Exupéry.

35. Saint-Exupéry vit à New Yark. La France est loin, le Béarn (patrie de Derème) plus encore. Qui se soucie à New York de Patachou ? Dire que Saint-Exupéry a plagié Patachou, c’est exagéré. Prétendre qu’il s’en est seulement inspiré, c’est trop peu dire. Dans le premier cas, on insulte à la mémoire de Saint-Exupéry. Dans le second, on ne rend pas justice à Tristan Derème. 
 

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