Qu’est-ce que le style ?
– Le point de vue des écrivains
Qu’est-ce que le style ?
– Le point de vue des écrivains
RÉSUMÉ
Une anthologie de citations d’écrivains sur le "style" perçu
comme expression de soi et profession de foi. Comment
devenir un bon écrivain en une seule leçon : celle de la Vie.
AVANT-PROPOS
C’est moi-même que je corrige en corrigeant mon œuvre.
Yeats
Le style, c’est l’art passé à l’état naturel. La manifestation silencieuse de l’âme. L’expression de soi pour le bien d’autrui. Pour tout vrai écrivain : son mode d’emploi et le passeport de l’éternité.
Pourquoi cette anthologie de citations sur le "style" ? L’écrivain et poète Pierre Louÿs a déjà apporté une réponse : « Si vous aviez écouté les conseils de la critique, si, au lieu de vous créer un public à votre image, vous vous étiez montré soumis au public de vos aînés, vous auriez renoncé dès votre second volume à presque tout ce qui composait votre personnalité. Car on voulait bien admettre votre talent, mais on vous refusait le droit d’écrire selon le génie de ce talent. Le style nouveau qui était le vôtre éveillait moins de curiosité. On vous laissait entendre que vous aviez tort d’insister. Bref il ne tenait qu’à vous de renier votre doctrine et bien des tentations vous entouraient, mais comme celle du Doute vous fut épargnée vous avez lutté jusqu’au bout. »
Ce petit bréviaire est dédié à tous ceux qui, quels que soient le but escompté et la méthode employée, luttent jusqu’au bout d’eux-mêmes – afin de s’obtenir.
Denis Boissier
(juin 2009)
UN CHOIX DE CITATIONS D'ECRIVAINS SUR LE STYLE
ALAIN (1868-1951)
Il est toujours facile d’être long, mais être court prend du temps.
ALAIN-FOURNIER (1886-1914)
Ecrire... cela s’appelle "se donner pour autre afin de se ressaisir comme soi".
ALBALAT Antoine (1856-1935)
Les principes fondamentaux de l’art d’écrire et leurs moyens d’application : condensation, simplicité, harmonie et surtout originalité, c’est-à-dire : personnalité, relief, propriété, image, couleur, haine de la banalité.
La règle, c’est qu’il faut laisser refroidir son premier jet, jusqu’à ce que le texte vous en redevienne étranger. On reprend ensuite ses phrases ; on rature, on biffe, on allège, on résume, on essaye de concentrer sa pensée dans le moins de mots possibles. La page est-elle noire, recopiez-là, c’est l’essentiel. Une fois recopiée, elle vous paraîtra tout autre. [...] Recommencez le même travail.
ALMA-TADEMA Lawrence (1836-1912)
Ceux qui suivent ne verront jamais que le dos du maître
ARAGON Louis (1897-1982)
Je rêvais qu’aux premiers mots la singularité du récit débutât.
Le malheur est que bien des gens en qui j’ai cru, ensuite ont été victimes de la mode, et c’est à la mode qu’il faut s’en prendre du non-développement ou du développement niveleur de certains écrivains, partis pour être de grands écrivains, et dont il faut bien reconnaître qu’ils n’en sont pas devenus.
ARISTOTE (-382-322)
La première qualité du style, c’est la clarté.
Alcimadas a ce défaut. (...) Il ne se contente pas de dire la “sueur”, il ajoute : l’humide sueur. Il ne dit pas “les jeux de l'Isthme”, mais “la solennité des jeux de l'Isthme”. Dire “les lois” serait trop peu pour lui ; il ajoute : les lois, reines de états. (...) Jamais il ne dira “le chagrin”, mais : le triste chagrin de l'esprit. (...) S’il faut dire : il cacha telle chose sous des branches d’arbres ; il ajoute : sous des branches d’arbres de la forêt.
AUDIBERTI Jacques (1899-1965)
L’écrivain écrit parce qu’il se connaît ou se suppose délégué à l'expression de la présence universelle, pour ne pas dire de l’âme divine, à travers sa propre besace de connaissances et de réflexions, par le moyen du langage écrit. Ce langage n’est qu’en apparence celui de tout le monde. En fait, l’écrivain le monopolise, le personnalise. Il en fait un système particulier de tics et de timbres, qui ne sont qu’à lui, qu’on nomme le style. Nombres, sursauts, sons préférés, termes élus, le style est, pour l’écrivain, l’instrument de sa qualité non commune.
BACH Richard (né en 1936)
Le nombre de personnes intéressées par ce que tu as à dire est très faible, mais c’est bien ainsi.
BACHELARD Gaston (1884-1962)
Quand il s'agit d'écrire des sottises, il serait vraiment trop facile d'écrire un gros livre.
Le véritable destin d’un grand artiste est un Destin de Travail. Vient dans sa vie une heure où le travail domine et conduit la destinée. Les malheurs et les doutes peuvent longtemps le tourmenter. L’artiste peut plier sous les coups du sort. Il peut perdre des années à une préparation obscure. Mais la volonté d’œuvre ne s’éteint pas quand une fois elle a trouvé son vrai foyer. Alors commence le Destin du Travail. Le travail ardent et créateur traverse la vie de l’artiste et donne à cette vie des vertus de ligne droite. Tout va vers le but dans une œuvre qui grandit. Chaque jour cette étrange tissu de patience et d’enthousiasme devient plus serré dans la vie de travail qui fait d’un artiste un maître.
BARBEY D’AUREVILLY Jules Amédée (1808-1889)
La moitié du visage d’un homme, c’est son écriture.
Nos systèmes sont le plus souvent nos impuissances, – la théorie de nos pauvretés.
BARRES Maurice (1862-1923)
L’œuvre d’art se propose de résumer, dans une formule essentielle et avec une émotion communicative, des états psychiques et de nous y faire participer, pour nous dédommager que nous n’ayons pas la puissance ou l’occasion de les vivre.
Peu à peu, jour sombre, on se l’avoue : tout est dit, redit : aucune idée qu’il ne soit honteux d’exprimer. En sorte que cette constatation même n’est qu'un lieu commun et cet enseignement une vieillerie surannée, et que rien ne vaut que par la forme du dire.
BARTHES Roland (1915-1980)
Pour l’écrivain, la littérature est cette parole qui dit jusqu’à la mort : je ne commencerai pas à vivre avant de savoir quel est le sens de la vie.
BAUDELAIRE Charles (1821-1867)
Je ne crois qu’au travail patient, à la vérité dite en bon français et à la magie du mot juste.
Le poète n’est d’aucun parti : autrement il serait un homme comme les autres.
Dès la première ligne, que dis-je, à la premiere ligne, au premier mot, il fallut en découdre ! Etait-ce bien exact ce mot ? Et rendait-il rigoureusement la nuance voulue ?
L’imagination n’est pas la fantaisie ; elle n’est pas non plus la sensibilité, bien qu’il soit difficile de concevoir un homme imaginatif qui ne serait pas sensible. L’imagination est une faculté quasi-divine qui perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies.
Parmi les innombrables préjugés dont la France est si fière, notons cette idée qui court les rues, et qui naturellement est écrite en tête des préceptes de la critique vulgaire, à savoir qu’un ouvrage trop bien écrit doit manquer de sentiment.
BENDA Julien (1867-1956)
En somme trois soins : concrétiser, économiser, musicaliser.
La présentation des grands sujets sous le jour de l’intime me semble une des choses les plus savoureuses de l’art littéraire.
J’ai récrit chacun de mes ouvrages environ six fois. Mais, dès la troisième fois, je me persuade que ma rédaction est définitive, et travaille alors avec grand entrain.
L’émotion d’art n’a pas pour base la sensation. Elle a pour base une idée : d’équilibre, de convenance, d’ordonnancement, de perfection ; idée qui cause, chez quelques êtres singuliers, une émotion spéciale : l’émotion d’art.
Pour les poètes capables de sincérité et de désintéressement, il y a un accent qu’ils donneront dans leur première œuvre et ne retrouveront jamais plus si, cette œuvre ayant fait fortune, ils savent désormais qu’ils chantent avec les yeux du monde fixés sur eux.
L’homme qui refuse de choisir parce que tout le séduit invoque souvent sa "nature artistique". Comme si un Dante, un Wagner, un Rodin n’avaient pas su choisir, prendre un parti et renoncer les autres. Cet homme confond "être artiste" et "être un artiste", ce qui en est souvent le contraire.
Il existe deux sortes d’écrivains, et qui répondent à des besoins de l’espèce profondément distincts ; les uns écrivent parce que certains humains ont le besoin de créer de belles formes, de beaux rythmes, des symboles éternels ; les autres écrivent parce que toutes les époques ont le besoin de s’exprimer.
L’œuvre d’art naît d'une soif de dominer. L’ordre qu’elle insère au-dedans d’elle-même est un moyen d’accroître la domination de l’artiste, de s’assurer contre l’extérieur qui veut la ramener au néant, comme il veut y ramener toute chose. C’est un acte essentiellement militaire. Il veut aussi imposer sa domination sur sa propre personne.
C’est pour moi un des grands signes de l’impuissance moderne de dire : "j’écris mes livres sans ordre ; parce que, si j’ordonnais mon émotion, je la perdrais." C’est tout simplement escamoter le vrai problème de l’art, qui est précisement de l’ordonner sans la perdre. Mieux, de l’intensifier par l’ordre qu’on y insère.
BERNANOS Georges (1888-1948)
Pour valoir quelque chose, il faut d’abord savoir ce que l’on vaut.
C’est lorsqu’il y a trop à dire qu’il faut s’efforcer d’être le plus court possible.
BLUM Léon (1872-1950)
Toute beauté est une difficulté vaincue.
Quelle stérilité ! la pire de toutes : bavarde, abondante !..
Cette maîtrise de facture qui permet de rester toujours en deçà de son sujet.
Un sentiment n’appartient vraiment qu’à celui qui en donna la traduction la plus belle.
Un écrivain, un penseur ne doit jamais avoir d’influence personnelle. Sinon il cesse d’être un penseur ou un artiste ; il est un apôtre.
Je mourrai fier de n’avoir jamais déposé dans le monde une pensée qui ne fut entièrement la mienne, et une vérité que je n’ai conçue de toute mon âme comme ma vérité.
Il y a un danger pour les jeunes gens. Ils trouvent en entrant dans la vie trop d’idées éparses autour d’eux, et leur vanité les porte aisément à croire qu’elles leur appartiennent alors qu’elles appartiennent à leur époque.
Des phrases courtes, sans adjectifs, avec tout l’effort du sens porté sur le verbe ; des phrases bien séparées, limitées par des haies solides de points, qui ne se déduisent pas, mais se succèdent, avec des pauses inégales.
Le flot débordant des fausses vocations et la foule des jeunes gens attirés à l’art comme vers une profession plus flatteuse, plus facile, et où le travail le plus médiocre récolte souvent le plus gros salaire.
Le scrupule, le don du travail, la connaissance approfondie et l’amour de la langue, la patience de regarder et de penser jusqu’à ce que l’idée ait obtenu sa forme juste. C’est cette patience récompensée qui s’appelle l’inspiration.
Cette vigueur brève, ramassée, elliptique, comme le corps tendu d’un athlète athénien : des phrases émondées et saillantes où il ne subsiste rien d’inutile, où tout est ramené aux liaisons grammaticales les plus simples, des termes d’une propriété extraordinaire qui montrent l’idée concentrée et comme bombée sous les mots.
Le public, trop nombreux à la fois et trop indulgent, montre une faveur qui étonne à des écrivains lourds, diffus ou même incorrects. Les classiques, qui n’ont jamais écrit à la ligne, leur eussent appris à conserver, dans les écarts de la plus large fantaisie, quelque modération, à relire chaque ligne, à peser scrupuleusement les phrases incertaines. La correction n’exclut pas la hardiesse ; mais la nouveauté n’exclut pas la mesure et le goût.
BOILEAU Nicolas (1636-1711)
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j’écris quatre mots, j’en effacerai trois.
Le temps respecte peu ce que l’on fait sans lui...
Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage ;
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ;
Polissez-le sans cesse, et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
BONNARD Abel (1883-1968)
Quand un artiste ou un auteur se vante de gagner de l’argent, il nous avertit sans y prendre garde qu’il a changé de métier.
BORGES Jorge-Luis (1899-1986)
Ce qui est bon, si c’est bref, est doublement bon.
Classique vient de classis : frégate, escadre. Un livre classique est un livre ordonné comme tout doit l’être à bord d’un bateau.
BRAQUE Georges (1882-1963)
Le progrès en art ne consiste pas à étendre ses limites, mais à les mieux connaître.
Il ne faut pas demander à l’artiste plus qu’il ne peut donner, ni au critique plus qu’il ne peut voir.
BRECHT Bertolt (1898-1956)
Le vrai progrès, ce n’est pas d'avoir progressé, mais de progresser constamment.
BRENNER Jacques (1922-2001)
Albert Thibaudet distinguait deux familles de stylistes français : la lignée du lieutenant et celle du vicomte. Dans celle-ci se trouvent Bossuet, Rousseau et, bien sûr, Chateaubriand, (c’est lui le vicomte) ; sous la première Montaigne, Voltaire et, bien sûr, Stendhal (c’est lui le lieutenant). Les lieutenants évitent le lyrisme qui nuit à l’exactitude. C’est pourquoi on leur reproche parfois de manquer de sentiment. Les critiques confondent un peu facilement la sécheresse du style et la sécheresse du coeur. Chez les lieutenants, la sécheresse peut être un nom de la pudeur.
BRETON André (1896-1966)
Je m’efforce, par rapport aux autres hommes, de savoir en quoi consiste, sinon à quoi tient ma différenciation. N’est-ce pas dans la mesure exacte où je prendrai conscience de cette différenciation que je me révèlerai ce qu’entre tous les autres je suis venu faire en ce monde et quel message unique je suis porteur pour ne pouvoir répondre de son sort que sur ma tête ?
BUFFON Georges Louis LECLERC, comte de (1707-1788)
Bien écrire, c’est tout à la fois bien penser, bien sentir et bien rendre ; c’est avoir en même temps de l’esprit, de l’âme et du goût.
Les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité : la quantité des connaissances, la singularité des faits, la nouveauté même des découvertes ne sont pas de sûrs garants de l’immortalité. ces choses sont hors de l’homme, le style est l’homme même.
CABANIS José (1922-2000)
Il s’agit d’exprimer, quoi qu’il en coûte, ce monde inconnu des autres que nous portons en nous et qui est appelé à verser dans la mort, si nous ne le sauvons.
La convention, c’est ce qui s’enseigne, se transmet, et qu’il suffit de reprendre et de démarquer, sûr d’être approuvé puisqu’on ne heurte personne.
CAILLOIS Roger (1913-1978)
Tout pouvoir vient d’une discipline et se corrompt dès qu’on en néglige les contraintes.
CALAFERTE Louis (1928-1994)
La ponctuation est, elle aussi, un style.
C’est la personne entière qui est chaque fois engagée dans l’expression artistique, fût-ce en dix lignes ou en deux coups de pinceaux. Il importe pour l’artiste d’être dans tout le possible de sa personnalité avant même que de produire.
Ethique et esthétique sont inséparables. L’écrivain doit avoir, non seulement une éthique par rapport à son travail mais une éthique tout court dans la vie. Sinon l’écriture n’est plus nourrie de toute les substances d’un homme et ça devient une imposture. [...] L’esthétique peut suffire par des éclats mais elle ne suffit pas longtemps.
La nécessité pour moi de l’écriture, en qualité de vocation, s’est imposée dés mon adolescence. Il fallait, en effet, que j’écrive parce que je ne pouvais qu’écrire et que toute expérience non relatée m’a aussitôt semblé un demi-avortement. Je voudrais sur ce point ajouter qu’il n’y avait pas de ma part désir de communication avec un quelconque autrui, mais structuration, solidification de la personnalité. N’eussé-je pas eu un seul lecteur que l’acte érotique d’écrire m’eût néanmoins été indispensable. Tel que je l’envisage, le cheminement ne va pas de ma conscience à l’extérieur mais de ma conscience à mon infraconscience.
L’époque dans sa totalité demande aux jeunes auteurs que leurs livres soient immédiatement réussis de manière à être projetés... mais projetés dans un univers commercial, non dans un univers littéraire. Ne vous préoccupez pas des modes : c’est la seule chose que j’aurais à dire.
CAMUS Albert (1913-1960)
Quand on écrit, on met en ordre ses obsessions.
La véritable œuvre d’art c’est celle qui dit le moins.
La grandeur d’un artiste se mesure aux tentations qu’il a vaincues.
Créer, c’est vivre deux fois.
Il pousse ses personnages jusqu’au type universel, mais en les faisant passer d’abord par la réalité la plus humble. Je ne connais pas d’autre définition de l’art.
Je n’imagine pas la littérature sans style. Je ne connais qu’une révolution en art, elle est de tous les temps, c’est l’exacte appropriation de la forme et du fond, du langage et du sujet.
CELINE Louis-Ferdinand (1894-1961)
L’histoire, mon Dieu, elle est très accessoire. C’est le style qui est intéressant. Les peintres se sont débarrassés du sujet : une cruche, ou un pot, ou une pomme, ou n’importe quoi, c’est la façon de le rendre qui compte.
CHAMFORT Nicolas de (1740-1794)
Le public, le public ! dit-il, combien faut-il de sots pour faire un public ?
Ce qui fait le succès de quantité d’ouvrages est le rapport qui se trouve entre la médiocrité des idées de l’auteur et la médiocrité des idées du public.
La plupart des livres d’à présent ont l’air d’avoir été faits en un jour avec des livres lus la veille.
CHAPELAN Maurice (1906-1992)
Où la pensée s’affermit, l’épithète se raréfie.
CHAR René (1907-1988)
Le poème est toujours marié à quelqu'un.
Nous n’avons qu’une ressource avec la mort : faire de l’art avec elle.
Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.
CHARDONNE Jacques (1884-1968)
Aujourd’hui, la "littérature", c’est pour quelques personnes, comme les hautes mathématiques.
Un écrivain doit beaucoup surveiller son style. La même pensée exprimée en peu de mots ou longuement, n’est pas du tout la même.
Le bon style (un certain accent de la phrase, une vertu intime des mots) s’adresse à une oreille intérieure chez le lecteur, oreille très fine.
J’ai écrit des livres avec abnégation, pour la postérité, sans croire à la postérité. Voilà un acte de foi. Une religion diffuse qui pénètre nos moindres actes n’est guère admise.
Souvent, au cours de ma vie, je me suis demandé si j’étais un privilégié, ou si j’appartenais à la classe des exploités, ayant écrit quelques ouvrages avec une longue patience, sans bien être récompensé.
Aujourd’hui, les écrivains en bas âge sont vite persuadés qu’ils ont du talent ; il y a des gens pour exploiter ces faibles têtes. La vie littéraire est très longue ; il faut aller jusqu’au bout ; c’est dur.
Je pense aux principes qui font un bon récit. D’abord l’attention à chaque mot ; une seule touche trop lourde et tout bascule. Il y a un équilibre bien délicat dans ces vapeurs de la création littéraire.
Un artiste, qui a fait de l’art sa religion, sait bien que l’injustice règne dans le monde des lettres et que personne n’est à sa place ; il n’attend aucune expiation pour les méchants auteurs, aucun salut pour les meilleurs.
Si une phrase est courte, je ne dois pas le sentir. C’est tout un art, cette fusion des phrases entre elles.
J’ai parfaitement conscience d’avoir vécu pour la "postérité" ; dans la postérité ; laquelle est dans le présent. Et, en toute chose, je me suis conformé à ce qu’elle exige. ("Joue toujours comme si un maître t’écoutait" Beethoven). Elle exige une certaine tenue ; beaucoup de renoncement.
Le poète, c’est l'homme attentif à des riens.
Pas d’adjectifs ; le moins possible ; ils affaiblissent un style naturellement fort, vif, savoureux. L’adjectif, c’est comme les bijoux. Une femme élégante ne porte pas de bijoux (ou bien c’est un solitaire. Les lieux communs, c’est pour les bonnes.) [...] Pas de mots qui sont de la bourre, "par conséquent", etc. fausses liaisons, etc. Jamais de métaphore ; pas la moindre. Pas de mots superflus. Ils n’ajoutent rien ; ils affaiblissent. Si vous dites : “Je vous déteste fortement.” C’est plus faible que “Je vous déteste.” Le moins de mots possibles.
Il faut garder sa jeunesse pour l’âge mûr. Quand on écrit trop tôt, surtout quand on a le malheur d’avoir un peu de succès, on risque de demeurer un enfant toute sa vie. On peut perdre pour toujours le respect de son art, car l’enfance ignore le respect.
Sans morale, il n’y a pas de vin de Bordeaux, ni de style. La morale, c’est le goût de ce qui est pur et défie le temps : c’est le mépris du relâchement.
CHATEAUBRIAND François René, vicomte de (1768-1848)
L’écrivain original n’est pas celui qui n’imite personne, mais celui que personne ne peut imiter.
CHENIER André (1762-1794)
L’art ne fait que des vers : le cœur seul est poète.
CIORAN Emil Michel (1911-1995)
Ne dure que ce qui a été conçu dans la solitude, face à Dieu, que l’on soit croyant ou non.
Malheur au livre qu’on peut lire sans s’interroger tout le temps sur l’auteur.
Une œuvre n’existe que si elle est préparée dans l’ombre avec l'attention, avec le soin de l’assassin qui médite son coup. Dans les deux cas, ce qui prime, c’est la volonté de frapper.
On dit : tel n’a pas de talent, il n’a qu'un ton. Mais le ton est justement ce qu’on ne saurait inventer, avec quoi on naît. C’est une grâce héritée, le privilège qu’ont certains de faire sentir leur pulsation organique, le ton c’est plus que le talent, c’en est l’essence.
La valeur intrinsèque d’un livre ne dépend pas de l’importance du sujet (sans quoi les théologiens l’emporteraient, et de loin), mais la manière d’aborder l’accidentel et l’insignifiant, de maîtriser l’infime.
CLAUDEL Paul (1868-1955)
La crainte de l’adjectif est le commencement du style.
COCTEAU Jean (1889-1963)
On ne se consacre pas à la poésie ; on s’y sacrifie.
Ce que le public te reproche, cultive-le : c’est toi.
Le style n’est pas une danse, c’est une démarche.
Je déteste l’originalité. Je l’évite le plus possible.
Les poètes doivent craindre l’adjectif comme la peste.
La critique compare toujours. L’incomparable lui échappe.
Colle ton oreille contre cette phrase. Ecoute le mystère.
Le style est une façon très simple de dire des choses compliquées.
L’esthétique de l’échec est la seule durable. Qui ne comprend pas l’échec est perdu.
C’est cette manière d’épauler, de viser, de tirer vite et juste, que je nomme le style.
L’art ne vaut à mes yeux que s’il est la projection d’une morale. Le reste est décoratif.
Le vrai écrivain est celui qui écrit mince, musclé. Le reste est graisse ou maigreur.
Que pense le marbre dans lequel un sculpteur taille un chef-d’œuvre ? Il pense : on me frappe, on m’abime, on m’insulte, on me brise, je suis perdu. Ce marbre est idiot.
Ecrire avec le succès comme but, autrement que par hygiène mentale et dans le dessein de plaire, est aussi ridicule que de croire les fleurs faites pour orner les vases.
Ce qui importe c’est le style dur et simple – qui ne coule pas – qui s’emboite. Ce genre de style ne se démode pas. Son seul risque est de devenir illisible pour les personnes distraites.
Il n’y a que l’intensité qui compte. Le talent, on l’a ou on ne l’a pas. L’intensité doit être notre seule étude. C’est elle qui empèche l’œuvre d’être à la mode, de se démoder.
La raison pour laquelle l’on est accusé de n’être pas "humain" , c’est le soin qu’on apporte au travail. N’est plus humaine que l’ébauche. Le bâclé se nomme "humain". Le métier, qui consiste à fabriquer le véhicule par où l’humain s’exprime, passe pour un travail intellectuel dont l’humanisme est exclu. Froide est l’œuvre bien écrite ou bien peinte. Humaine l’œuvre écrite ou peinte n’importe comment. C’est la défense du médiocre. Elle a pour elle la supériorité du nombre.
Je ne serais pas entièrement dévoué à la poèsie dans un monde qui lui reste insensible, si elle n’était pas une morale. Si elle ne commandait pas un style de l’âme et si elle ne devenait pas, en fin de compte, notre âme. Elle oblige chaque minute, à un amour et à une noblesse qui nous empêchent de nous perdre dans ceci ou dans cela, qui nous évite d’hésiter sur notre attitude et sur nos démarches. Elle est une sorte de cloître libre dont la discipline très sévère nous habite. Si la poésie n’était pas une éthique, si elle relevait de l’esthétique, je la fuirais comme la peste.
CONSTANT Benjamin (1767-1830)
Les idées sont la propriété commune de tout le monde, et il n’y a que les auteurs de vaudeville qui réclament contre le plagiat.
COURTELINE Georges (1858-1929)
Il n’est pas de genres inférieurs ; il n’est que des productions ratées, et le bouffon qui divertit prime le tragique qui n’émeut pas.
CURTIS Jean-Louis (1917-1995)
L’écrivain est le célébrant d’un culte sans doute inutile au corps social, mais dont l’inutilité même est un puissant antidote aux poisons actifs de la vie.
Ne souhaite pas autre chose que ce que tu as – puisque, aussi bien, ce que tu as, tu l’as voulu, et ce que tu as voulu se confond avec ce que tu es.
DALI Salvator (1904-1989)
Mon classicisme appliqué contient en secret plus de liberté que l’art dit libre. C’est le classicisme qui renferme la plus forte charge explosive parce qu’il est la dissimulation extrême.
DAUMAL René (1908-1944)
Le style, c’est l’empreinte de ce qu’on est dans ce qu’on fait.
DELACROIX Eugène (1798-1863)
On n’est maître que lorsqu’on met aux choses la patience qu’elles comportent.
Le plus beau triomphe de l’écrivain est de faire penser ceux qui peuvent penser.
DRIEU LA ROCHELLE Pierre (1893-1945)
L’art, en donnant du prix aux sensations, offre aux hommes leur seule chance de réaliser la vie.
DUCLOS Charles Pinot (1704-1772)
Voir le but où l’on tend, c’est jugement ; y atteindre, c’est justesse ; s’y arrêter, c’est force ; le passer ce peut être faiblesse.
Il y a des têtes à qui leur désordre fait honneur ; la confusion imite assez l’abondance. C’est ainsi que les ruines d’un bâtiment médiocre prennent plus d’espace qu’un palais bien proportionné.
DUMAS Alexandre (1802-1870)
Travaille et repose-toi par la variété même de ton travail.
DUTOURD Jean (né en 1920)
La sincérité ne suffit pas toutefois à la création. L’on n’est pas génie parce qu’on dit sans suite ce qu’on sent et ce qu’on voit. Il s’agit de construire. Construire avec la sincérité, c’est construire avec des pierres ; sans elle avec du carton ; mais la pierre n’est pas l’architecture. Trop d’attachement à la sincérité lorsqu’on a du génie rabaisse. Le chêne vit par ses racines, non pour elles. [...] Il n’est pas nécessaire non plus de tout dire. La sincérité n’est pas la statistique. C’est, au contraire, la vérité humaine dans son essentiel.
Mieux vaut peindre que discourir, montrer que démontrer. Le spectacle est plus couru que l’école et enseigne mieux. Dans le style, le moins peut toujours le plus.
Les verbes être et avoir sont, en français, des ennemis mortels du style concret, car ils ramènent toutes les pensées à des équations. [...] Du reste, ces deux auxiliaires bâtissent toutes les phrases sur le même modèle. Ils encouragent l’inertie de l’esprit ; ils entraînent des pléthores d’adjectifs, des multiples d’adverbes. Il faut les fuir comme la peste. Il faut faire la guerre aux adjectifs et aux adverbes ; ce sont les preuves d’un esprit paresseux ou romantique. Il est rare, du reste, qu’un adjectif ne se puisse remplacer par un verbe.
EMMANUEL Pierre (1916-1984)
Une vie de poète , quand elle est accomplie, se lit comme un long effort de la pensée, un travail sur soi de la personne en vue d’une cohérence secrète, appréhendée sous les apparences de l’œuvre.
EMERSON Ralph Waldo (1803-1882)
Le plus grand génie est le plus endetté.
Le génie ? [...] Un pour cent d’inspiration et quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration.
Notre plaisir comme notre déplaisir est improductif. L’amour et la passion, seuls, concentrent l’existence autour d’une forme unique. C’est le fait de certains esprits d’attribuer à l’objet, à la pensée, au mot sur lesquels repose leur attention une plénitude totale, exclusive du reste, et de faire de cet objet le symbole de l’univers.
ETIEMBLE René (1909-2002)
Clarté, simplicité, à jamais voilà notre alpha et notre oméga.
Aux gribouillards l’estime générale, les succès de librairie, le fric. Aux écrivains exigeants beaucoup de soi, le mépris ou le silence, quelques lecteurs.
FARGUE Léon-Paul (1876-1947)
La qualité, c’est la quantité assimilée.
Le bon écrivain est celui qui enterre un mot chaque jour.
Une phrase parfaite est au point culminant de la plus grande expérience vitale.
L’ouvrage ne doit pas être trop vaste. Il faut qu’il soit circonscrit dans le champ d’une vision nette et que l’esprit s’y puisse rassembler. Mieux tu diaphragmes, meilleure est l'image.
FAULKNER William (1897-1962)
L’artiste n’a pas le temps d’écouter les critiques. Ceux qui veulent devenir écrivain lisent les comptes rendus, ceux qui veulent écrire n’en ont pas le temps.
L’artiste est supérieur au critique, car il écrit quelque chose qui touchera le critique. Ce que le critique écrit touchera tout le monde, sauf l’artiste.
FLAUBERT Gustave (1821-1880)
La littérature est l’art des sacrifices.
On ne peut plus écrire quand on ne s’estime plus.
Le difficile en littérature, c’est de savoir quoi ne pas dire.
Le génie, c’est Dieu qui le donne, mais le talent nous regarde.
Il faut écrire pour soi, avant tout. C’est la seule chance de faire beau.
Il ne faut pas toujours croire que le sentiment soit tout. Dans les arts, il n’est rien sans la forme.
Le style est autant sous les mots que dans les mots. C’est autant l’âme que la chair d’une œuvre.
J’ai travaillé hier pendant seize heures, aujourd’hui toute la journée et, ce soir enfin, j’ai terminé la première page.
Il faut faire, à travers le beau, vivant et vrai quand même. C’est lapidaire comme tous les truismes. Mais c’est bien ça.
On fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’art, de même quand se met mouchard quand on ne peut pas être soldat.
Un romancier, selon moi, n’a pas le droit de dire son avis sur les choses de ce monde. Il doit, dans sa vocation, imiter Dieu dans la sienne, c’est-à-dire faire et se taire.
Quand on se compare à qui vous entoure, on s’admire ; mais quand on lève les yeux plus haut vers les maîtres, vers l’absolu, vers le rêve, comme on se méprise !
Non, il ne faut jamais écrire des phrases toutes faites. On m’écorchera vif plutôt que de me faire admettre une pareille théorie. Elle est très commode, j’en conviens, mais voilà tout.
Je pense souvent avec attendrissement aux êtres inconnus, à naître, étrangers, etc., qui s’émeuvent ou s’émouvront des mêmes choses que moi. Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l’humanité.
Il n’y a ni beaux ni vilains sujets et on pourrait presque établir comme axiome, en se posant au point de vue de l’art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses.
J’arriverai peut-être un jour à produire une belle chose ! car tout cède, n’est-ce pas, à la continuité d’un sentiment énergique. Chaque rêve finit par trouver sa forme. [...] Folie pour folie, prenons les plus nobles.
C’est comme le corps et l’âme, la forme et l’idée ; pour moi c’est tout un et je ne sais ce qu’est l’un sans l’autre. Plus une idée est belle, plus la phrase est sonore. [...] La précision de la pensée fait (et est elle-même) celle du mot.
Plus je vais et plus je découvre la difficulté d’écrire les choses les plus simples, et plus j’entrevois le vide de celles que j’avais jugées les meilleures. Heureusement que mon admiration des maîtres grandit à mesure, et, loin de désespérer par cet écrasant parallèle, cela avive au contraire l’indomptable fantaisie que j’ai d’écrire.
Les livres ne se font pas comme les enfants, mais comme les pyramides, avec un dessein prémédité, et en apportant des grands blocs l’un par-dessus l’autre, à force de reins, de temps et de sueur, et ça ne sert à rien ! Et ça reste dans le désert ! Mais en le dominant prodigieusement. Les chacals pissent en bas et les bourgeois montent dessus, etc.
Ne te dépêche pas, revois tout, épluche-toi.
FRANCE Anatole (1844-1924)
La première politesse de l’écrivain, n’est-ce pas d’être bref ?
Une idée ne vaut que par la forme et donner une forme à une vieille idée, c’est tout l’art.
Une situation appartient non pas à qui l’a trouvée le premier, mais bien à qui l’a fixée fortement dans la mémoire des hommes.
Une seule louange nous touche, celle qui constate notre originalité, comme si l’originalité était quelque chose de désirable en soi et comme si il n’y avait pas de mauvaises comme de bonnes originalités.
Nous avons trop de romans, et de trop gros. Il faudrait laisser les gros livres aux savants. Les contes les plus aimables, ne sont-ils pas les plus courts ? Ce qu’on lit toujours, c’est Daphnis et Chloé, c’est La Princesse de Clèves, Candide, Manon Lescaut, qui sont épais comme le petit doigt. Il faut être léger pour voler à travers les âges. Le vrai génie français est prompt et concis. [...] Je voudrais qu’on fût élégant et facile, rapide aussi. C’est là, n’est-il pas vrai ? la parfaite politesse d’un écrivain. On peut beaucoup dire en un petit nombre de pages. Un roman devrait se lire d’une haleine. J’admire que ceux qu’on fait aujourd’hui aient tous également trois cent cinquante pages. Cela convient à l’éditeur. Mais cela n’est pas toujours convenable au sujet.
Il y a beaucoup moins de lecteurs pour les nouvelles que pour les romans, par cette raison suffisante que seuls les délicats savent goûter une nouvelle exquise, tandis que les gloutons dévorent indistinctement les romans bons, médiocres ou mauvais. Il n’est pas de feuilleton, si fade ou si coriace, qui ne soit avalé jusqu’à la dernière tranche par quelque pauvre d’esprit affamé de grosse littérature. (...) Pour neuf lecteurs sur dix, un roman est un plat dont ils s’empiffrent et dont ils veulent avoir par-dessus les oreilles. Aussi les fournisseurs ordinaires du public ont-ils un tour de main incomparable pour fabriquer des romans compacts et lourds comme des pâtés.
On devient bon écrivain comme on devient bon menuisier : en rabotant ses phrases.
Le temps ne garde rien de ce qu’on fait sans lui.
GIDE André (1869-1951)
L’unité du ton du livre, c’est l’unité de ta ferveur.
Ecris, si tu veux, dans l’ivresse ; mais, quand tu relis, sois à jeun.
Je n’aime que les œuvres dont j’aperçois le cordon ombilical.
Si c’est le succès que tu cherches, persuade-toi que tout progrès que tu feras le compromet. Le gros public n’applaudit jamais qu’à ce qu’il peut reconnaître ; quoi que ce soit que tu lui apportes de neuf, il est gêné.
Evite le plus possible les superlatifs ; c’est seulement ainsi que tu préserveras pour quelques-uns leur plein sens. Où le faible exagère, le fort se retient. La force des mots, contenue, c’est dans l’esprit du lecteur qu’elle opère. Elle devient inefficace si tu l’épands sur le papier.
C’est avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature.
L’art est toujours le résultat d’une contrainte. Croire qu’il s’élève d’autant plus haut qu’il est plus libre, c’est croire que ce qui retient le cerf-volant de monter, c’est sa corde.
Nous voyons les grands esprits ne jamais craindre les influences, mais au contraire, les rechercher avec une sorte d’avidité qui est comme l’avidité d’être.
GŒTHE Wolfgang (1749-1832)
Le secret du grand art réside dans la concision.
GOURMONT Remy de (1858-1915)
Le crime capital pour un écrivain c’est le conformisme, l’imitativité, la soumission aux règles et aux enseignements.
Avoir un style, c’est parler au milieu de la langue commune un dialecte particulier, unique et inimitable et cependant que cela soit à la fois le langage de tous et le langage d’un seul.
Déprécier "l’écriture", c’est une précaution que prennent de temps à autre les écrivains nuls ; ils la croient bonne ; elle est le signe de leur médiocrité et l’aveu d’une tristesse.
GUITTON Jean (1901-1999)
Tout retard dans un travail d’esprit bien entrepris est la chance d’un fruit mûr.
HAEDENS Kléber (1913-1976)
Celui qui n’a pas le courage de prendre le large pour s’approfondir longuement dans la solitude créatrice et dans un dédain absolu de tous les commentaires, celui-là n’a pas conscience de la grandeur de sa tâche.
HUGO Victor (1802-1885)
La forme, c’est le fond qui remonte à la surface.
Sans tumulte, sans chocs, sans efforts haletants,
Comme un grave ouvrier qui sait qu’il a le temps.
HUGUENIN Jean-René (1936-1962)
Ajouter en enlevant.
JABES Edmond (1912-1991)
Pratiquer l’écriture, c’est pratiquer sur sa vie une ouverture par laquelle la vie se fera texte.
JACOB Max (1876-1944)
On reconnaît le goût d’un littérateur à l’importance de ses ratures.
JOUBERT Joseph (1754-1824)
Quand on écrit avec facilité, on croit toujours avoir plus de talent qu’on n’en a. Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle et une difficulté acquise.
Souviens-toi de cuver ton encre.
JOUHANDEAU Marcel (1888-1979)
C’est le refus de se servir de certains mots qui crée le style, beaucoup plus que ceux que l’on emploie. On écrit bien, parce qu’on sait mépriser l’invitation de maints termes qui s’offrent, jusqu’à la découverte du seul mot qui soit juste. […] On écrit bien surtout dans la mesure où l’on n’est sensible qu’à l’inédit et dans l’inédit à l’essentiel jusqu’à la rigueur.
Il faut travailler sans cesse, pour le faire utilement une fois. Les résultats sont la plupart du temps insensibles et tout d’un coup l’effort est couronné. Tout ce qui a précédé n’était qu’une amorce, l’apprentissage nécessaire.
LANSON Gustave (1857-1934)
La pensée ne s’achève que lorsqu’elle a trouvé son expression : les défauts de la forme sont les défauts du fond.
LACRETELLE Jacques de (1888-1985)
Ecrire un livre est une tâche à laquelle il faut se donner tout entier et dans l’austérité. Non pas pénitence, tant les joies qu’on en retire sont grandes, mais vœu intime, pacte avec soi-même. Il faut peiner, s’écorcher, et faire passer dans chaque phrase un peu de cette lutte où l’on se trouve engagé.
MALLARME Stéphane (1842-1898)
Sait-on ce que c’est qu’écrire ? Une ancienne et très vague mais jalouse pratique, dont gît le sens au mystère du cœur. Qui l’accomplit, intégralement, se retranche.
MALRAUX André (1901-1976)
L’artiste naît prisonnier du style, qui lui a permis de ne plus l’être du monde.
J’appelle style […] la conscience d’une relation nécessaire (d’intensité, d’étendue, de presentation, etc.) entre chacune des parties et l’ensemble, la conscience des limites et de la nature de leur subordination.
Un poète ne se conquiert pas sur l’informe, mais sur les formes qu’il admire.
MATZNEFF Gabriel (né en 1936)
Les médiocres, par crainte de paraître moins originaux, répugnent à rendre hommage à leurs maîtres ; les créateurs, eux, aiment à citer leurs sources, à s’inscrire dans une filiation.
Qu’est-ce qu’un écrivain ? C’est une pensée soutenue par un style. Si nous possédons l’un et l’autre, notre talent a l’évidence du soleil dans le ciel ; s’ils nous font défaut, ce ne sont ni les salons ni les dîners en ville qui le pallieront.
MAULPOIX Jean-Marie (né en 1952)
L’écriture est le paroxysme du souci. Tout y est attention, inquiétude et vigilance, de l’inspiration à la graphie… Il s’agit de fixer la syntaxe du fugace, d’inventer, d’avancer sur la corde de plus en plus mince et tremblante : un mot de trop suffit à la briser.
MAUPASSANT Guy de (1850-1893)
Les mots ont une âme. La plupart des lecteurs, et même des écrivains, ne leur demandent qu’un sens. Il faut trouver cette âme qui apparaît au contact d’autres mots, qui éclate et éclaire certains livres d’une lumière inconnue, bien difficile à faire jaillir.
Soyons des originaux, quel que soit le caractère de notre talent (ne pas confondre originaux avec bizarres), soyons l’Origine de quelque chose.
L’originalité d’un artiste s’indique d’abord dans les petites choses et non dans les grandes. Des chefs-d’œuvre ont été faits sur d’insignifiants détails, sur des objets vulgaires. Il faut trouver aux choses une signification qui n’a pas encore été découverte et tâcher de l’exprimer d’une façon personnelle.
Il faut éviter les inspirations vagues. L’art est "mathématique", les grands effets sont obtenus par des moyens simples et bien combinés.
MAURIAC François (1885-1970)
Une part de nous-mêmes, faute de culture s’atrophie ; une autre, faute de règle, s’hypertrophie.
MAUROIS André (1885-1967)
Une œuvre d’art n’expose pas une vérité préétablie ; elle incarne une vérité vécue.
MONTHERLANT Henry de (1895-1972)
On reconnaît tout de suite un homme de jugement à l’usage qu’il fait du point et virgule.
MORAND Paul (1888-1976)
L’art n’est pas d’aligner des mots, mais d’en enlever.
MOREAS Jean (1856-1910)
Les plus sots veulent être des hommes modernes, quoi qu’ils fassent. C’est un masque qu’ils mettent à leur sottise. Comme si l’on pouvait être autre chose qu’un homme moderne.
PAULHAN Jean (1884-1968)
Il n’y a en littérature qu’un sentiment absolument sot : c’est la peur d’être influencé.
PAUWELS Louis (1920-1997)
Je découvrais quelque chose d’essentiel : la litote, l’écriture dépouillée et toujours un degré au dessous de l’émotion.
Je n’ai aucune honte – et j’y ai du mérite, tant c’est infâmant aujourd’hui – à dire que mon ambition suprême est de l’ordre du style. Je me veux homme parce que je me veux du style. Je me veux une âme pleine et pure parce que je me veux un style plein et pur. Je veux bien endurer toutes les forges pour que mon style se forge.
Ce qu’on écrit à côté de soi tombe à côté.
PEGUY Charles (1873-1914)
Un mot n’est pas le même dans un écrivain et dans un autre. L’un se l’arrache du ventre. L’autre le tire de la poche de son pardessus.
PERROS Georges (1923-1978)
Ecrire, c’est renoncer au monde en implorant le monde de ne pas renoncer à nous.
PESSOA Fernando (1888-1935)
L’art est un isolement. Tout artiste doit chercher à isoler les autres, et à leur donner le désir d’être seuls.
PRÉVOST Jean (1901-1944)
Beaucoup d’artistes n’ont pas le cœur de travailler d’abord dix mille heures pour acquérier du talent ; ils se risquent comme à une loterie : génie ou rien.
- Rien.
PROUST Marcel (1871-1922)
Le public ne connaît du charme, de la grâce des formes, que ce qu’il en a puisé dans les poncifs d’un art lentement assimilé.
RENARD Jules (1864-1910)
Il ne faut pas confondre l’improvisation avec l’inspiration.
L’inspiration, ce n’est peut-être que la joie d’écrire : elle ne la précède pas.
Cette sensation poignante qui fait qu’on touche à une phrase comme à une arme à feu.
Il ne peut y avoir, d’un côté, la forme, de l’autre, le fond. Un mauvais style, c’est une pensée imparfaite.
RIMBAUD Arthur (1854-1891)
La main à la plume vaut la main à charrue.
ROLLAND Romain (1866-1944)
Je ne me suis jamais demandé, quand j’écris une œuvre, s’il se trouvera un public pour la comprendre et l’apprécier. Si je me l’étais demandé, j’aurais jeté la plume, car je suis bien certain que personne ne comprend vraiment l’art et la pensée d’un autre. Il comprend ce qui lui convient, ce qu’il veut d’avance (au besoin, même, il l’invente) […]. On n’écrit pas une œuvre d’art, on ne crée pas, pour imposer sa pensée. On crée pour la semer. Toute création est une "génération". Celui qui engendre ne peut savoir le fils qui sortira de lui. Il répand la vie. Son seul souci doit être que cette vie soit saine. Le reste ne dépend pas de lui.
SAINT-EXUPERY Antoine de (1900-1944)
Il ne faut pas apprendre à écrire, mais à voir. Ecrire est une conséquence.
Prendre conscience, c’est d’abord acquérir un style.
N’oublie pas que ta phrase est un acte.
STENDHAL Marie-Henri Beyle dit (1783-1842)
Le style doit être comme un vernis transparent : il ne doit pas altérer les couleurs, ou les faits et pensées, sur lesquels il est placé.
On appelle beau parmi nous ce qui est vanté dans les journaux et produit beaucoup d’argent.
SUARES André (1868-1948)
Trois fois sur quatre quand l’artiste obtient le succès, il cesse de le mériter.
TOLSTOI Alexis (1883-1945)
Ne jamais cesser d’écrire, que ce soit bon ou mauvais. A écrire, on s’habitue au travail et l’on forme son style, quand bien même il n’y aurait pas d’autre utilité plus directe.
VALERY Paul (1871-1945)
Est poète celui auquel la difficulté inhérente à son art donne des idées – et ne l’est pas celui auquel elle les retire.
La syntaxe est une faculté de l’âme.
Il importe que ton génie soit si bien dissimulé dans ton "talent" que l’on soit porté à attribuer à ton art ce qui revient à ta nature.
Nous disons d’un auteur qu’il est original quand nous sommes dans l’ignorance des transformations cachées qui changèrent les autres en lui, nous voulons dire que la dépendance de ce qu’il fait à l’égard de ce qui fut fait est excessivement complexe et irrégulière.
Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. Mais il faut digérer. Le lion est fait de moutons assimilés.
Se différencier, pour de jeunes esprits ambitieux est la première manière de se distinguer. Faire autrement que les illustres prédécesseurs est plus facile que de faire aussi bien, moins décourageant que tenter de faire mieux.
Mettre la perfection entre soi-même et l’autre.
VERLAINE Paul (1844-1896)
Et tout le reste est littérature.
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PETITE BIBLIOTHEQUE DE FICTIONS FRANÇAISES REMARQUABLES POUR LEUR CONCISION, LITOTE ET PRÉCISION
Arland Marcel, En terres étrangères, 1923
Augérias François, Le vieillard et l’enfant, 1954.
Barbey d’Aurevilly Jules, La Bague d’Annibal, 1842.
Bonnand Alain, Les Mauvaises rencontres, 1988.
Bourbon Busset, Jacques de, L’Olympien, 1960.
Bove Emmanuel, Mes Amis, 1924.
Calaferte Louis, Portrait de l’enfant, 1969.
Campagnes, 1979.
Calet Henri, La Belle lurette, 1935.
Camus Albert, Noces, 1938.
Chateaubriant Alphonse de, Vie de Rancé, 1844.
Constant Benjamin, Adolphe, 1816.
Dietrich Luc, Le Bonheur des tristes, 1935.
Ganne Gilbert, Le Panache blanc, 1967.
Gide André, Thésée, 1946.
Grosjean Jean, Austrasie, 1960.
Les Beaux jours, 1980.
Jouhandeau Marcel, Tryptique, 1942
Lacretelle Jacques de, La Vie inquiète de Jean Hermelin, 1920.
La Ville de Mirmont Jean de, Jean Dézert, 1914.
Larbaud Valéry, Fermina Marquez, 1911.
Léautaud Paul, Le Petit ami, 1903.
Madame de Genlis, Mademoiselle de Clermont, 1802.
Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, 1678.
Mérimée Prosper, Carmen, 1847.
H.B., 1850.
Millet Richard, L’Angelus, 1988.
Merle Jean-François, Cale sèche, 1987.
Montesquieu Charles-Louis de Secondat, baron de, Histoire véritable, posthume 1892.
Paulhan Jean, Le Guerrier appliqué, 1917.
Philippe Charles-Louis, Bubu de Montparnasse, 1901.
Radiguet Raymond, Le Diable au corps, 1923.
Renard Jules, Histoires naturelles, 1894.
Poil de carotte, 1894.
Saint-Exupéry Antoine de, Vol de nuit, 1931.
Schwob Marcel, Mimes, 1894.
Vies imaginaires, 1896.
Siesling Jan Laurens, Le Roman de Van Gogh, 1990.
Tinan Jean de, L’Exemple de Ninon de Lenclos amoureuse, 1898.
Valéry Paul, Monsieur Teste, 1896.
Vilmorin Louise de, Madame de, 1951.
Vivant Denon Dominique, Point de lendemain, 1777.
Yourcenar Marguerite, Anna, soror… 1981.
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE SUR LE STYLE ET LA CONDITION DE L’ECRIVAIN
Barrès Maurice, Carnets.
Calaferte Louis, Carnets.
Flaubert Gustave, Correspondance.
Gide André, Journal (Bibliothèque de La Pléiade).
Joubert Joseph, Carnets.
Quignard Pascal, Petits traités (VIII tomes).
Renard Jules, Journal (Bibliothèque de La Pléiade).
Saint-Exupéry Antoine de, Carnets.
Valéry Paul, Carnets.
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