L’évolution de la musique classique :

                    continuité et fracture

 

                                                                 RÉSUMÉ

     La mort de l’Art est-elle une fatalité dans une société matérialiste déjà

responsable de la mort (?) de Dieu ? Ne pouvant plus prétendre à l’Art avec

  une noble majuscule, sommes-nous condamnés à nous contenter de l’art

    contemporain ? La Tradition n’est-elle pas précisément ce bon sens, ce

courant de forces, cette chaîne initiatique qui nourrit tout artiste ? Quel plus

beau cadeau un artiste peut-il offrir qu’être lui-même, et non le représentant

      d’une théorie ou d’une école ? Faire table rase du passé n’est pas un

                                   enseignement, c’est un parti pris.

« Lorsqu’on a vécu longtemps dans l’ambiance d’une certaine culture

et qu’on s’est souvent efforcé d’en découvrir les origines et les voies

évolutives, on ressent un jour la tentation de tourner ses regards dans

la direction opposée et de se demander quel sera le sort ultérieur de

cette culture ainsi que les transformations qu’elle est destinée à subir.

[…] et moins nous connaissons du passé et du présent, plus notre

jugement sur le futur est forcément incertain. »

Sigmund Freud L’avenir d’une illusion, 1927.

 


  



INTRODUCTION : QU’EST-CE QUE L’ART ?


Tous les historiens s’accordent à reconnaître que le but de l’Art (n’ayons pas peur des majuscules) a toujours été la recherche du Beau et la mise en place des savoir-faire permettant, à échelle humaine, de l’exprimer. Les œuvres d’art servaient à cela. Les soucis de cohérence et d’harmonie furent d’emblée au centre de cette recherche qui, sous bien des aspects, fut aussi un amour du Beau. L’on aimait le Beau parce qu’au delà des satisfactions qu’il apporte, il conduit droit vers Dieu, du moins en était-on alors persuadé. Dieu étant la cause première de toute harmonie et la raison même du Beau (et du Bien et du Vrai, lesquels sont concomitants) il était naturel que l’homme, dans son besoin d’évolution, se rapprochât toujours plus de Dieu – et donc, simultanément, du Beau, du Bien et du Vrai. En 1818 Victor Cousin donnait un célèbre cours à la faculté des Lettres de Paris dont le titre à lui seul est un programme : Du vrai, du Beau et du Bien1. Il y déclarait : « La vraie liberté n’est pas de faire ce qu’on veut, mais ce qu’on a le droit de faire. » Et de la même façon qu’il écrivait que « Dieu a fait la raison pour apercevoir la vérité », il aurait pu dire que l’homme a fait l’Art pour ressentir l’harmonie.

La vertu cardinale de l’art était l’esthétique. Bien que son étymologie signifiât la sensation, les Grecs n’employèrent pas ce mot pour désigner une philosophie de l’Art. Ils étaient si naturellement imprégnés de sensations que le mot esthétique en tant que principe philosophique aurait été pour eux redondant. Ce sont les Allemands du XVIIIe siècle qui donnèrent au mot esthétique son sens actuel : art raisonnable de la connaissance sensible ; sentiment de ce qui est transcendant2. L’esthétique est ce qui transcende la logique car, par le biais des sens et du cœur, l’esthétique a sa source dans Dieu, alors que la logique est un mode opératoire généralement jugé un peu "froid". Ainsi, l’Art a des raisons que la Raison ne connaît pas toujours. Il est en cela frère jumeau de l’Amour. Sans amour il n’y a pas d’art possible ; et sans art, il n’y a pas de preuves d’amour, pourrait-on dire. L’Art est donc essentiel à l’homme, du moins à la partie la plus élevée, la plus sensible de l’homme que l’on appelle l’âme, ou à défaut l’esprit. Et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes tant que l’Art eut pour fonction d’élever l’Homme jusqu’à la transcendance (puisque le mot Dieu effraie certains).

              

                         Birds on the Wires from Jarbas Agnelli on Vimeo.

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LA TRADITION… ET L’EGO


La pensée esthétique peut être définie comme traditionaliste. La tradition cherche à maintenir l’activité des hommes au plus près de leur source, laquelle, d’essence  divine, est absolue. En raison de cette ambition supra-humaine, la tradition s’est toujours méfié de toute nouveauté puisque, en règle générale, cette dernière a tendance – nous allons voir pourquoi – à s’écarter de ce qui est établi et reconnu par la majorité comme étant moral, cohérent et bénéfique3. Mais cette esthétique traditionaliste a fini par avoir un ennemi redoutable : l’ego.

L’ego est, pour simplifier, ce qui s’oppose à Dieu. L’ego, c’est le triomphe de l’individu sur tout autre principe qui lui serait supérieur et qui pourrait lui être opposé. L’ego est à la fois la cause et la conséquence d’une façon de penser : celle qui, durant la Renaissance, plaça l’Homme – et non plus Dieu – au centre de tout. Après l’effervescence de la Renaissance, l’Art, mais aussi l’esthétique et plus généralement la pensée religieuse (au sens large) furent régentés par cet ego qui, depuis son apparition, n’a cessé de régner en maître.

Avec le temps, l’ego s’est imposé comme le moteur de la pensée moderne, laquelle est née au début du XVIIIe siècle, sous la houlette du vieux Louis XIV, et a grandi avec l’essor de la manufacture puis celui de l’industrie. Le premier ego porté au pinacle fut celui du Roi-Soleil. Il provoqua la multiplication d’une infinité de petits ego qui ne tiraient leur raison d’être que de la vanité royaliste ayant présidé à leur naissance. Et de même que Louis XIV aurait dit « L’Etat, c’est moi », l’ego déclara, du moins en ce qui concerne notre propos, « l’Art, c’est moi. »


L’EGO ET LA MODERNITÉ

   

Dans le domaine musical le premier de nos grands ego fut, sans conteste, Ludwig van Beethoven. 


A partir de Beethoven et du mouvement romantique symphonique qu’il incarna et dont il reste la figure emblématique, l’Art a cessé d’être un ensemble de règles qu’il fallait à tout prix respecter afin de mieux atteindre Dieu (le Vrai, le Beau, le Bien) pour devenir un moyen d’exprimer son ego, une façon compliquée de se singulariser. L’Art cessait d’être classique, c’est-à-dire codifié (et donc esthétique), pour devenir une action individuelle qui ambitionnait de provoquer une révolution artistique. Et les révolutions artistiques se succédèrent à un rythme accéléré… Puisque l’on n’œuvrait plus en fonction de Dieu, il était permis de ne plus respecter les règles qui avaient été admises comme les plus sûres. La première de ces règles était l’humilité. L’artiste romantique se mettait en avant ; l’artiste traditionaliste, ou si l’on préfère l’artiste classique par excellence, s’effaçait devant son œuvre car celle-ci, au départ comme au final, n’était qu’une offrande à Dieu ou une illustration de la Beauté et de la cohérence de la Nature faite Dieu. Les constructeurs des Pyramides comme ceux des cathédrales gothiques mettaient Dieu tellement au-delà de leurs modestes personnes qu’ils ne signaient pas leurs œuvres. L’anonymat était alors le garant de la qualité d’âme d’un artiste. Plus un artiste était grand, plus sa personnalité se dissolvait, s’identifiait avec la Nature et finissait dans l’impersonnel. Les Anciens faisaient de l’Art comme les pommiers font des pommes, sans outrecuidance.

Les choses ont bien changé. Dès Molière ou Lully qui travaillaient sous Louis XIV, et plus encore après Beethoven, les artistes modernes n’eurent de cesse d’afficher leurs personnalités et de mettre en évidence leur originalité. Pour le public qui devenait de plus en plus bourgeois, c’est-à-dire imbu de lui-même, l’œuvre eut soudain moins de "valeur" que la signature qui devint une simple monnaie d’échange. Et en raison d’un point de vue sur l’art exclusivement bourgeois, cessa d’exister l’adéquation, jusqu’ici permanente, entre la renommée et le niveau d’art atteint, adéquation qui avait été garante de la grandeur de l’Art. La Beauté n’était plus un critère, ni ce qui découle d’elle : le Bien qu’elle procure et le Vrai qui la légitime. L’Art cessait d’être un sacerdoce ou un sacrifice pour devenir un marché, et l’œuvre d’art se transforma en un produit de consommation ou un investissement. On ne demanda plus à l’artiste d’être initié mais d’être immédiatement "cataloguable". L’œuvre d’art n’avait plus à être authentique ou accomplie selon les règles de l’art, il lui suffisait d’être identifiable grâce à sa signature et rentable à plus ou moins long terme. C’en était fini à la fois de l’Art pour Dieu (car pour les mêmes raisons, ou peu s’en faut, la religion va perdre toujours plus son tutorat moral) et de l’Art pour l’Art (certains essaieront  vainement d’y revenir, notamment le poète Théophile Gautier). L’Art avait perdu toute noblesse et par voie de conséquence sa majuscule. L’art moderne était devenu une succursale du commerce.


 

LA MODERNITÉ IDENTIFIÉE AU PROGRÈS

 

Au XVIIe siècle le poète Boileau avait proclamé : « Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable ». Au XIXe siècle – ce stupide XIXe siècle, comme l’a défini l’écrivain Léon Daudet4 –  rien n’est beau que la nouveauté, la nouveauté seule est aimable. En pleine déshumanisation due à l’industrialisation, commence une infatigable course à la nouveauté, une recherche tout azimut de l’étrange et du surprenant. L’art (que nous écrirons désormais sans majuscule) devient synonyme d’ivresse et d’interdits franchis. Rien n’attire plus que le parfum du scandale. C’est le règne de Baudelaire et de ses Fleurs du Mal (1857). Certes, au fil des décennies il y aura des allergiques à la pensée moderne (l’on se souvient, en France, de Julien Benda publiant en 1927 sa retentissante Trahison des clercs) mais personne ne voudra les écouter. Désormais les penseurs qui exigent une hiérarchie des valeurs sont considérés comme des réactionnaires. La culture étant devenue un bien de consommation courante, ne se vend que la nouveauté. La mode devient une pseudo philosophie comportementale. Ainsi que l’expression "couverture médiatique" le prouve, toute véritable profondeur est bannie au profit du superficiel. Et de même qu’au XIXe siècle les philosophes avaient laissé place aux professeurs, qu’à la moitié du XXe siècle les professeurs le cèdent aux journalistes, dès la fin du XXe siècle les journalistes font place à des "personnalités" médiatiques désignées sous le terme people.

En outre, puisque les sciences progressent, on veut croire que l’art aussi progresse nécessairement, ainsi qu’au XVIIe siècle le présupposaient Fontenelle, Charles Perrault et le parti politique des « Modernes ». Logique imparable : nous sommes meilleurs que les Anciens puisque nous venons après eux. A partir de ce truisme sociologique : l’art moderne me parle plus que celui des temps anciens, le spectateur de la fin du XVIIe siècle a vite fait de préférer les pièces de Philippe Quinault à celles de Pierre Corneille ; et le lecteur du XIXe siècle se trouvera plus à l’aise dans les œuvres de Paul Bourget que dans celles de Diderot,  la jeunesse du XXe siècle écoutera davantage Duke Ellington ou les Beatles que les chefs-d’œuvre "classiques".

La notion de progrès est-elle concevable en art, en philosophie, en morale ? En quoi le philosophe Jean-Paul Sartre est-il "plus" grand qu’Emmanuel Kant et ce dernier "plus" philosophe que Platon ? Gabriel Fauré peut-il être considéré comme "plus" progressiste que ne le fut en son temps Antonio Vivaldi ? L’on peut aussi se demander si le goût immodéré pour la nouveauté est un critère intellectuel ou un penchant psychologique encouragé par des impératifs uniquement commerciaux. Mais qu’importe aux Modernes si la nouveauté stimule ou amoindrit les capacités de concentration et d’émerveillement. Alors même que le poète et philosophe Paul Valéry avertissait que rien ne se démode plus vite que la nouveauté, et que « le besoin de nouveau est signe de fatigue ou de faiblesse de l’esprit, qui demande ce qui lui manque. Car il n’est rien qui ne soit nouveau » on réclame toujours plus de nouveauté à laquelle on sacrifie tout. C’est ce contre quoi mettait en garde l’écrivain Hermann Hesse : « Sur le plan intellectuel, vivre uniquement dans le présent et la nouveauté est intolérable, sinon aberrant. Une relation constante avec le passé, l’histoire, les choses anciennes, permet seule une vraie vie intellectuelle. »


Hermann Hesse




Comme la Nouveauté est devenue la grande déesse de l’art, il n’y a désormais d’art que dans ce qui surprend ou choque. Pour contrebalancer l’absence de Dieu on valorise la notion de progrès. Chaque artiste se revendique un agent du progrès, aussi s’autoproclame-t-on créateur, mieux : génie. Afin de s’attirer les suffrages du public, le génie se fait l’ennemi de Dieu et de l’Harmonie comme, dans les temps anciens, Satan s’en était fait l’adversaire.

Cette rupture d’avec la pensée antique et classique, nous l’avons dit, date du XVIIe siècle. La notion de progrès s’est imposée sous le règne de Louis XIV. Pendant la célèbre et longue Querelle des Anciens et des Modernes les philosophes du progrès, volontairement aveuglés par la magnificence du Roi-Soleil, s’efforceront de démontrer que le goût étant relatif il faut obéir aux seules convenances de l’élite – convenances qui s’organisent victorieusement pour constituer la bienséance. Sur cette lancée très politisée, les philosophes des Lumières tenteront au XVIIIe siècle de prouver que le Beau est subjectif5. Et puisque Dieu ne doit plus être pris en compte, l’Homme devient la référence absolue. Il n’y a d’avenir qu’en lui. Il est à lui-même son Dieu, son Eglise, son salut. Deux siècles plus tard le showbiz sera devenu sa religion, l’audimat son obsession, la starisation sa croix.  


 

LA MODERNITÉ EST-ELLE AMORALE ?


L’art moderne doit sa légitimité à cette constatation si dangereuse dans son apparente évidence : les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Puisque les goûts et les couleurs ne se discutent pas, les Modernes vont paradoxalement discourir à perte de vue sur ce qu’est l’Art (avec une majuscule) pour affirmer péremptoirement que tout critère transcendantal est obsolète et même inexistant. Modernité oblige, en art (sans majuscule) tout est permis. L’ego est encouragé à tout tenter. Le génie ne connaît plus de limites. C’est la libre entreprise du "n’importe quoi" et du "n’importe comment", pourvu que cela crée l’événement. Le principe du plaisir et du moindre effort deviennent le moteur de la quête artistique, l’improvisation ou l’expérimentation une règle carriériste, souvent une règle de vie. L’art n’a plus d’autre ambition que de plaire à tout prix, le plus rapidement possible. Flatter plutôt que d’éduquer. La pente ascendante est proscrite. La chute libre est recommandée à tout ego qui veut conquérir un public affamé d’audace et d’imprévu. Alors que le monde antique, traditionnel puis classique, condamnait chez l’homme ce penchant à ne rechercher que son plaisir, l’art moderne et plus encore "l’art contemporain" (ainsi défini parce qu’il veut plaire industriellement afin de rapporter le plus d’argent possible) ne visent qu’à satisfaire les goûts les plus bas du public. On a même pu mettre en garde contre une pornographie dans laquelle l’art d’aujourd’hui serait tombé.

La matière l’emporte sur l’esprit – c’est la spécificité de la modernité occidentale. Nous sommes arrivés à un carrefour des sensations et des sentiments contradictoires – c’est la spécificité de la modernité artistique. Tout existe et tout contribue à nous rendre humain ou inhumain selon notre choix, disons plutôt  selon nos goûts et nos appétits. Tout coexiste et tous les discours sont admis, répétés, uniformisés. Personne n’a de précellence et l’on lit autant  – c’est-à-dire aussi peu – le pire et le meilleur. Nous sommes conditionnés pour être des romantiques attardés rêvant de classicisme mal compris, tout en se gavant de modernités néfastes ou ridicules, presque toujours dépassées avant de s’épanouir. Il y a un snobisme de la modernité que condamnait Oscar Wilde, tout en y participant plus que tout autre. Rien ne se démode plus vide que la mode, dit-on – mais on lui obéit aveuglement. De la même façon que l’art est devenu un produit de consommation courante nous-mêmes sommes devenus des "produits" de société courante. Nous sommes soumis au prêt-à-penser. Le politiquement correct est notre modus vivendi. Notre perception de l’art est dominée par un processus de banalisation qui fait de chacun de nous ce que la Bible appelle un Philistin (« personne grossière, insensible aux arts et aux lettres ») et que l’on peut définir comme un matérialiste. Quand un prisonnier préfère les barreaux de sa cellule à la liberté d’être libre, il n’est plus un homme mais un prisonnier. En permettant à chacun de peindre les barreaux de sa prison avec les couleurs qui lui plaisent, la société mercantile et capitaliste se montre plus réductrice qu’une prison. On  veut toujours s’évader d’une prison, mais peu nombreux sont ceux qui considèrent la standardisation comme un risque majeur d’emprisonnement moral.

La seule morale artistique des Modernes tient dans la croyance (naïve ou cynique) que plus on parle d’une œuvre, meilleure elle est ; plus une œuvre se vend, plus elle est digne d’admiration. Dans de pareilles conditions idéologiques, l’Art (avec sa majuscule) pourrait fort bien redevenir indispensable. Rappelons  qu’à sa source il est l’expression d’une quête de Dieu, une technique qui, par le biais de l’âme et du corps, permet à qui le souhaite avec ardeur, réflexion, travail (ART) d’évoluer au-dessus de son quotidien, au-dessus de l’uniformisation des sentiments, au-dessus de l’opinion commune… jusqu’à cet endroit d’où l’on ne revient jamais, sans doute pour y être trop bien.


 

DESTIN DE L’ART ET DE LA MUSIQUE CLASSIQUE EN PARTICULIER


La musique classique a suivi la même évolution que les autres arts : après avoir longtemps vécu dans la continuité, elle a connu la rupture au XVIIIe siècle. Là encore Louis XIV peut en être tenu pour responsable. Durant un très long règne où la volonté d’un seul valait pour tous, il était naturel que le point de vue individuel prenne une place toujours plus grande dans une société qui suscitait la rude concurrence des arrivismes. Louis XIV avait pour devise : unicus uni nec pluribus impar, autrement dit : « unique dans le monde et qui suffit à tous ». Chacun après lui, sitôt qu’il fut assuré de sa position, pensa de même. Dans ce but, Louis XIV réduisit les prérogatives de la noblesse (dangereuse à cause de son indépendance) et interdit les corporations compagnonniques qui, jusque-là, avaient patiemment formé artisans et artistes en leur donnant une place en fonction des années passées en apprentissage et de celles consacrées à devenir un maître dans sa discipline. Le Roi-Soleil remplaça ces confréries au passé immémorial (dangereuses par les secrets techniques qu’elles détenaient) par des académies surgies de nulle part où les emplois furent pourvus selon le bon vouloir du Roi. Le passe-droit se substitua à l’ancienneté ; le diplôme remplaça l’intégrité. C’est ainsi que Lully fut promu Surintendant de la Musique et que les nouvelles générations d’artistes purent faire valoir leur ego autant qu’elles le souhaitaient.

Il est significatif que dans cette mise en place de ce qui va devenir la société marchande (embourgeoisement des valeurs artistiques et mort des vertus traditionnelles) soit née la première œuvre de musique moderne. Car la musique moderne, et même, osons le mot, contemporaine, est née très exactement en 1737, quand Jean-Féry Rebel (1666-1747), élève de Lully, fit connaître sa composition Les Eléments, dans laquelle il décrit la création du monde. Le premier mouvement s’intitule Le Chaos ; Rebel a l’idée de génie de représenter musicalement le chaos original à l’aide d’une technique qui sera celle de la musique atonale du XXe siècle : accords tonitruants, dissonances, jusqu’à inclure des clusters6


                                                           

Jean-Ferry Rebel




Rebel écrira : « J’ai osé entreprendre de joindre à l’idée de la confusion des éléments celle de la confusion de l’harmonie. » Par cette audace que les Grecs, qui s’en défiaient beaucoup, appelaient hubris (« excès coupable dû à l’orgueil »), Jean-Féry Rebel est le père fondateur de la musique contemporaine. Le premier, il a su faire de la musique une métaphore de la confusion totale-tonale de l’homme séparé à la fois de la Nature et de Dieu. En évitant l’harmonie, et donc l’esthétique de Dieu, Rebel a ouvert une boîte de Pandore d’où est sortie la dysharmonie, autrement dit la fracture d’avec Dieu. L’art n’imite plus la Nature et ne recherche plus Dieu ; il imite le Chaos et ne trouve que lui-même. Car il est significatif que ce saut dans le temps – cette chute dans l’atonalisme – se soit produit au moment même où Rebel voulut décrire le Chaos (« confusion totale, désordre général »). Ainsi, connaissant l’origine de la modernité en musique, nous pouvons conclure que les Modernes ont fait de la musique – art dont on disait qu’il était le chant des sphères célestes – une représentation du non-ordre, de l’aléatoire, du non-sens.

Du Chaos de Rebel aux compositions d’Arnold Schoenberg, c’est une même route7 qui mène de l’ego d’un seul à l’hystérie de tous (car la musique atonale ou expérimentale n’a pas vocation d’apaiser les auditeurs). Autant la musique classique avait pour mission de délivrer l’auditeur de la pesanteur de la matière, autant l’art moderne rend l’auditeur prisonnier de l’ego du compositeur. Rebel représenta le Chaos pour frapper l’auditoire et mieux faire ressortir l’harmonie divine (donc royale) ; Schoenberg conçut son système compositionnel dans le but de représenter le chaos politique ou social qui l’environnait vers 1910. C’est pourquoi il importe de savoir qu’Arnold Schoenberg est un compositeur juif autrichien né en 1874 et mort en 1951. Ses premiers pas vers l’atonalisme (Cinq pièces pour orchestre en 1909 ; Six petites pièces pour piano en 1911) datent de la montée en puissance de l’esprit de guerre et de désordre qui culminera durant la Première Guerre mondiale. Malgré son âge relativement avancé, Schoenberg se porta volontaire pour la guerre. Au sortir de l’horreur, il entreprit de remettre en question l’harmonie basée sur les sept notes fondamentales et les accords dits « parfaits ». Le compositeur-théoricien raconta avoir pris soudain conscience des forces irrépressibles de désagrégation de la tonalité. L’harmonie étant, selon lui, condamnée à être toujours plus dissoute par l’esprit moderne friand de contrastes et de dissonances, il décida de porter à son point de non-retour cette évolution. C’est la naissance moderne de l’atonalisme. Mais devant le chaos ainsi créé, Schoenberg se vit contraint de privilégier la « composition sérielle » afin de mettre un certain ordre dans le non-ordre et le non-signifiant aléatoire. Toutefois c’en était fini de la tonalité, de la mélodie et du contrepoint, ainsi que du sens narratif ou descriptif que la musique sait exprimer.


Jean-Philippe Rameau. Paru en 1622

 



L’ATONALISME, UN TRIBUT FAIT À LA GUERRE


Fondées sur la notion de série à laquelle Schoenberg donne le nom de dodécaphonisme, c’est-à-dire « composition avec douze sons » (Suite pour piano, 1923 ; Variations pour orchestre, 1928, etc.) ses œuvres présentent le résultat d’une soudaine accélération de la décomposition harmonique. Elles sont véritablement un saut (une chute) dans le temps. Schoenberg fait percevoir ce que doit devenir (pourrait devenir) la musique classique dans les temps futurs. Jean-Féry Rebel avait fait entrevoir le Chaos originel, Schoenberg présente le Chaos futur (sans doute déjà en germe pendant l’entre-deux-guerres).



Arnold Schoenberg


Une question se pose alors : pourquoi notre siècle a-t-il connu un tel engouement pour l’atonalisme ? Rappelons-nous ce que déclarait en 1836 le philosophe Victor Cousin dans son ouvrage Du vrai, du Beau et du Bien : « La vraie liberté n’est pas de faire ce qu’on veut, mais ce qu’on a le droit de faire. » Avions-nous le droit d’exclure la Beauté harmonique en raison d’un traumatisme social et d’un parti pris intellectuel ? Avions-nous le droit d’interdire la mélodie, d’empêcher l’art du contrepoint et de l’harmonie de s’exercer librement ? Devions-nous nous priver de leurs bienfaits et céder à un besoin irrépressible de faire table rase du passé ? Pouvions-nous sans risque pour l’avenir brûler ainsi les étapes ?

L’engouement et le panurgisme qui ont sévi de 1920  à 1970 firent le malheur de  nombre de compositeurs comme Maurice Duruflé, Samuel Barber, William Walton, Camargo Guarnieri ou Nino Rota, pour n’en citer que cinq, de nationalités différentes, qui ne purent plus s’exprimer sans être assurés du mépris de ceux qui obéissaient aux nouveaux diktats. De la même façon que les Chinois avaient, sous le régime maoïste, brûlé les signes ou symboles éclatants de leur Histoire passée, les tenants de l’atonalisme, du sérialisme et de l’expérimental imposèrent une intransigeance dont le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, notamment, ne s’est toujours pas débarrassé.

Puisqu’en musique comme dans presque tous les autres arts, l’Harmonie fut la grande victime de cet état d’esprit dictatorial, une autre question se pose : ne sommes-nous pas nous-mêmes les victimes du double traumatisme social que furent les deux guerres mondiales ? N’avons-nous pas tenté de tuer l’Harmonie parce que le conflit international avait bien failli y parvenir définitivement ? Le compositeur allemand atonaliste Karlheinz Stockhausen, notamment, déclara qu’il fallait mettre à profit cette destruction que fut la Seconde Guerre mondiale pour créer une nouvelle musique à partir des ruines de l’ancienne. En raison d’un tel radicalisme si majoritairement ressenti durant le XXe siècle, nous pensons pouvoir dire que nous avons joué, à nos dépens, aux apprentis sorciers. L’atonalisme et tant d’autres expériences artistiques furent des bombes atomiques au même titre que celle qui frappa la ville d’Hiroshima. Ce XXe siècle de fer fut celui des explosions artistiques et du morcellement qui s’en suivit : impressionnisme, cubisme, fauvisme, surréalisme, dadaïsme, expressionnisme abstrait, futurisme, sérialisme, minimalisme… L’Art fut fractionné par des ismes qui ont fini, semble-t-il, par avoir raison de son pouvoir de synthèse. Pour protéger l’Art et sa majuscule, il n’y eut bientôt plus que l’académisme, trop étroite forteresse.

Si notre thèse est correcte, l’enchaînement des événements conduisant à la destruction de l’Harmonie (au sens large) se présenterait ainsi : A la fin du XVIIIe siècle il fut idéologiquement admis que chaque compositeur se sent unique et pense suffire à tous. En cela, chacun fut un "fils" de Beethoven. Cette nouvelle propagande carriériste profita du contexte favorable de la montée en puissance de la société bourgeoise. Bien vite, on recensa suffisamment de vanités diverses pour susciter le Romantisme, mouvement international appelé à frapper durablement les esprits. A la fin du XIXe siècle, devant les forces coercitives de la société industrielle qui les étouffaient, les artistes eurent le courage de leur opposer la Beauté et l’Inspiration. Ce fut leur chant du cygne car survint le XXe siècle et ses deux Guerres mondiales. Le double traumatisme (physique mais aussi métaphysique) fut tel que les créateurs d’harmonie abandonnèrent brusquement leur prérogative. Dans le domaine pictural ou sculptural ce fut le règne de l’abstraction. En musique chacun fut ou se força à devenir un "fils" de Schoenberg. Les principes de l’atonalisme se répandirent dans le monde… et plus l’on avait souffert de la destruction massive, plus l’on ressentit le besoin d’exprimer la dysharmonie récemment vécue. Puisque le monde avait (semblait avoir) perdu son sens, on l’exprima (on s’en plaignit ?) au moyen d’une musique qui ne reflétait que trop le paysage social déshumanisé.



POURQUOI LA FRANCE IMPOSE UNE MUSIQUE OFFICIELLE ATONALE


Entre 1860 et 1910 la France, face aux bruits des machines de l’industrialisation à outrance, avait magnifiquement illustré le pouvoir de la Beauté musicale, notamment grâce à Hector Berlioz, César Franck, Camille Saint-Saëns ou Claude Debussy.




C’est pourtant en France, dès l’après-guerre, que l’atonalisme exerça le plus grand et le plus constant terrorisme intellectuel. Les nouveaux maîtres d’écoles – pour le dodécaphonisme : René Leibowitz et Pierre Boulez ; pour la musique concrète électro-acoustique : Pierre Schaeffer et Pierre Henry – furent si actifs qu’il tyrannisèrent l’enseignement du Conservatoire National Supérieur de Paris jusqu’à ce que mélodie, coloris, chromatisme, contrepoint soient chassés de ce haut lieu. Les nouvelles écoles devinrent institutionnelles. L’IRCAM (Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/Musique) par exemple fut, dès sa création en 1974, le temple de cette musique qui avait plus de prêtres que de public car celui-ci, méfiant envers les théories exclusives, se laissa peu entraîner dans ce déluge de compositions abstraites et de sonorités nouvelles.

Mais sans doute n’est-ce pas un hasard si la France fut la terre d’élection d’un courant de pensée qui condamna au silence, ou presque, tout compositeur qui voulait exprimer son amour de l’harmonie et de la mélodie. La raison de l’adhésion de nos institutions à l’art contemporain, en premier lieu à l’atonalisme, trouve son origine dans une spécificité de notre pays : son penchant pour les doctrines élitistes, dont la source se place en plein cœur du XVIIe siècle, quand le théâtre était alors le grand débat social. L’élite promulguait comme impératifs moraux et artistiques (les deux étaient alors inséparables) qu’une œuvre ne devait pas être faite selon l’inspiration de l’auteur ou les nécessités de son sujet, ni même pour satisfaire les attentes d’un public toujours plus nombreux, mais uniquement selon des règles préétablies. La théorie devait donc précéder la pratique et lui donner sa raison d’être, plus encore son carcan. Cette théorie, volontairement systématisée, est aujourd’hui considérée comme une école et appelée classique. Les doctes louis-quatorziens prétendaient tenir leur dogme des Grecs, notamment d’Aristote, et le résumaient par une formule : unité de lieu, unité de temps, unité d’action. Pendant un siècle (1630-1730) tout un discours imposa au théâtre ces règles qui devinrent vite absolues car elles furent les outils d’une censure redoutable : la bienséance. La bienséance, c’est l’air du temps perçu comme impératif social. Sous le règne de Louis XIV, hors de la bienséance point de salut. L’élite intellectuelle –  autoproclamée sur le seul critère de la naissance – conditionna l’esprit du temps. Se plier aux contraintes arbitraires qu’elle prônait fut la triste condition de tous les artistes, même ceux, rarissimes, qui osèrent, au nom de la liberté de création, aller contre la tendance générale. Mais que peut un artiste sans argent ni protecteur contre l’esprit du temps ? Même Pierre Corneille, le plus célèbre des réfractaires à la bienséance, et le plus tenace, a finalement été muselé, du moins officiellement8. Et ni Boileau ni Racine, pour ne citer qu’eux, ne se risqueront à s’opposer aux doctes. Car dans la France du XVIIe siècle, les princes s’entouraient de pédants qui, en se déclarant leurs domestiques (c’était le mot utilisé), n’avaient qu’une seule espérance : ne plus appartenir à la canaille (ainsi définissait-on le peuple). Chaque prince pouvant, s’il le souhaitait, susciter un cercle intellectuel, ces cercles, par souci du conformisme aristocratique, s’agrégèrent vite pour former un mouvement intellectuel, le seul qu’autorisait la bienséance, appelé de nos jours école classique. L’arbitrage suprême en revenait, bien évidemment, au Roi, seul maître après Dieu.

Avec d’un côté le peuple qui n’avait pas son mot à dire, de l’autre des artistes tous inféodés, l’Art ainsi codifié ne tarda pas à se dessécher. Sous le règne de Louis XIV le classicisme commença par promouvoir un méthodique rétrécissement des idées (baroques et généreuses) du siècle précédant, puis imposa un conformisme petit-bourgeois servile et bas9 dont Boileau, qui avait commencé par être libertin, se fit le théoricien patenté dans son Art poétique (1674). Après s’être mis au service de la bienséance, l’Art se fit l’esclave du vraisemblable, car il ne fut bientôt plus permis de présenter les choses telles qu’elles étaient ou avaient été, mais telles qu’elles auraient dû être – donc telles qu’elles devaient être afin de plaire à l’élite autoproclamée. Tel fait historique déplaisait-il ? La doctrine du vraisemblable exigea de Corneille qu’il le censurât ou l’arrangeât afin de complaire au goût de la Cour. Par chance, sous Louis XIV, le classicisme possédait encore une vertu, celle de l’effort : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage / Polissez-le sans cesse et le repolissez » édictera Boileau dans son Art Poétique. Le XXe siècle se chargera de faire oublier cet excellent précepte.

Durant le Grand règne, le peuple, ses envies ou ses attentes, comptaient pour rien. Les arts ne lui étaient d’ailleurs pas destinés. Théâtre et musique étaient déclarés privilèges de caste. Lorsque les "intellectuels" Guez de Balzac ou Jean Chapelain expriment leur sentiment sur telle œuvre théâtrale, ils sous-entendent ou disent explicitement qu’une œuvre dramatique ne vaut que par son refus de plaire au peuple. Dès 1631 Guillaume Colletet, l’un des Cinq poètes au service de Richelieu, proclame : « Le peuple est un fort mauvais juge. S’il juge bien, c’est par hasard, puisqu’en effet il est dépourvu de cette partie qui est celle des honnêtes gens. »10  Pour le pontife des Lettres Jean Chapelain : « Je ne conseillerai jamais à mon ami de se faire Tabarin [célèbre acteur comique qui influencera Molière] plutôt que Roscius [réputé être un excellent comédien tragique] pour complaire aux idiots et à cette racaille qui passe en apparence pour le vrai peuple et qui n’est en effet que sa lie et son rebut. »11 Pour Desmarets de Saint-Sorlin : « Le peuple a l’esprit si grossier et si extravagant qu’il n’aime que des nouveautés grotesques »12. Georges Scudéry, adversaire du "républicain" Corneille, affirme à son confrère Guez de Balzac (défenseur de Corneille) qu’écrire pour le peuple, « c’est mettre le poète au même rang que les saltimbanques et les violons [artistes miséreux]». Dans son Apologie du théâtre (1639) Scudéry est encore plus méprisant : le peuple est « multitude ignorante » – et d’ajouter : « C’est pour eux [les Grands de France] que les écrivains du théâtre doivent avoir toujours le pinceau à la main, prêt d’effacer toutes les choses qu’ils ne trouveront pas raisonnables, se faire des lois inviolables de leurs opinions. »

Cette doctrine de l’Art pour la Cour participa au mouvement social que fut la Préciosité où l’Art perdit peu à peu toute liberté d’être naturel et direct, et la notion d’inspiration s’amenuisa jusqu’à être tenue pour négligeable. Fut favorisée une politique que l’on peut définir – quitte à déplaire aux républicains qui fantasment sur le Grand siècle – comme fasciste (culte de la personnalité du chef, importance de la hiérarchie, privilèges de caste, sentiment de supériorité, pouvoir arbitraire, totalitarisme intellectuel anti-peuple…) Les préjugés petits-bourgeois provoquèrent la floraison d’un théâtre qui, très vite, entra en agonie et mettra plus d’un siècle à se relever de sa maladie doctrinaire…

Nous pensons que la doctrine classique a son exact pendant dans la doctrine de l’art contemporain. L’Art pour la Cour a fait place à l’Art pour l’Etat (de fait, l’art contemporain ne vit que de subventions et de commandes officielles). Dans les deux cas, un langage anti-peuple devint artificiellement l’idiome d’une caste, et une même intransigeance entraîna une censure qui se changea en stérilité. Mais si l’art contemporain est un avatar de la Préciosité intellectuelle du Grand règne, il en est aussi son revers : au XVIIe siècle, la forme esthétique prime, au XXe siècle la forme esthétique déprime.



LA MODERNITÉ COMME PRINCIPE ARTISTIQUE RELÈVE-T-ELLE DE LA PRÉCIOSITÉ ?


L’obéissance aveugle aux ukases de la Préciosité intellectuelle – laquelle n’existe que par les interdits qu’elle se fixe –  se retrouve au XXe siècle avec l’art contemporain, notamment avec l’école de l’atonalisme et celle du Conservatoire National Supérieur de Musique. Car de la même façon que la règle des trois unités avait pris appui sur la philosophie sociale de la Préciosité, la musique contemporaine française atonale et expérimentale prit appui sur la philosophie sociale de l’existentialisme. Et autant l’atonalisme français trouvait son fondement dans l’atonalisme made in Germany, autant la philosophie sociale de l’existentialisme français trouva son fondement dans l’existentialisme allemand. En musique, tout ce que le bon sens et l’inspiration artistique encouragent était soudain devenu intolérable ; fut prohibé tout ce qui, jusqu’alors, avait fait la force et le mérite de la musique tonale. La Préciosité du XVIIe siècle interdisait tels propos ou expressions, la Préciosité atonale interdira harmonie et mélodisme. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, les doctes de la nouvelle musique manifestèrent un brusque désintérêt pour le grand public. "Qu’importe le goût du peuple !" proclamait la Préciosité. L’atonalisme ne dira pas autre chose. Et de la même façon que la Préciosité (au sens large) de 1630 avait banni la simplicité et le naturel, la Préciosité (au sens large) de 1930 voulut réduire à néant ces mêmes vertus. Pourquoi faire beau et émouvant quand on peut faire abscons et abstrait ? Pourquoi vouloir plaire à ceux qui vous écoutent alors qu’il est si facile de tourner le dos et de ne complaire qu’à soi ? La Préciosité de 1630 avait insulté Corneille ou Molière (ils ont la même philosophie de l’art : faire selon la tradition et plaire au plus grand nombre), la Préciosité musicale de 1930 insulta les compositeurs qui persistaient à abriter dans leur œuvre l’Harmonie et le Sens (la forme et le fond). Dans la très répandue revue existentialiste Les Temps modernes, le théoricien René Leibowitz, célèbre pour ses Prolégomènes (publiés dans cette revue dès 1946), s’en prit à tous ceux qui n’avaient pas adhéré à la nouvelle musique (Neumusik). Jusqu’à Igor Stravinsky qui eut droit à un pamphlet, et Jean Sibélius qui inspira à Leibowitz son Sibélius, le plus mauvais compositeur au monde (1951). Comme l’écrira le musicologue Célestin Deliège, cette véhémence « n’avait qu’un but unique : prouver le caractère inéluctable du dodécaphonisme entrevu comme fin et couronnement de l’histoire. Il n’y avait pas, au terme de cette démonstration, que l’intention d’une fusion dans le matérialisme historique ; il y régnait un fond de darwinisme inconscient, mais qui colorait toute l’évolution de la polyphonie comme aurait pu être idéalement décrit l’enchaînement des fonctions biologiques depuis l’origine de la vie. » (Cinquante ans de modernité musicale, de Darmstadt à l’IRCAM, 2003, p. 46). 

Que constatent, après coup, nos intellectuels de la nouvelle théorie musicale du XXe siècle ? Pour Célestin Deliège, « une modernité anarchique rivalise avec un capitalisme sauvage, […] désormais toute création est alignée sur la recherche, le rationalisme sériel méconnaît l’expressivité traditionnelle et la place au rang de naïveté, de crédulité. » (« Du sérialisme à l’informatique musicale », 1995). Pour le musicien atonaliste et théoricien Hugues Dufourt, « la musique contemporaine ne sait plus distinguer les techniques qui l’émancipent de celles qui l’aliènent. » (Musique et Médiations, 1994, p. 15). Certains sociologues en ont conclu qu’à force de tout s’interdire dans le domaine de la Beauté et du sens, et, dans le même temps, de tout se permettre dans celui de la Nouveauté, la musique atonale a fini par ne plus rien dire, créant des univers sonores qui ne cherchaient plus à communiquer quoi que ce soit. « Le propre de l’avant-garde, c’est de ne pas pouvoir se transmettre » a-t-on dit13. Le compositeur François Nicolas s’interroge : « S’agit-il là d’un nouvel art ? C’est la position de certains qui préfèrent alors lui donner un nouveau nom ; Michel Chion s’est engagé avec courage sur cette voie en proposant de nommer ce nouvel art, distinct de l’art musical, l’art des sons fixés (cf. le livre du même nom aux éditions Métamkine, 1992). »14

En raison de ce nouvel alphabet musical, la musique atonale et plus encore la composition expérimentale s’intègrent dans ce que nous appelons la Préciosité intellectuelle de caste. Une caste où chaque membre est égotiste : «  La tentation étant alors, explique le sociologue Jean-Louis Genard, de voir dans l’expérience esthétique une expérience rigoureusement idiosyncrasique, purement relative à l’individu, rétive à toute velléité de communication. Là se trouvent réunies les conditions d’une soustraction de cette expérience au champ de ce qui est discutable et argumentable. […] La critique esthétique, c’est-à-dire la volonté d’argumenter sur le Beau, pouvant à la limite apparaître comme une volonté répressive, comme une mise à mal des potentialités expressives et créatrices de l’artiste. » (« Qu’est-ce que l’art contemporain ? » in Revue Nouvelle,  p. 11).

Autrement dit, en art moderne s’instaure l’ère du "jamais vu" pourvu que cela interpelle ou/et rapporte de l’argent. L’on se souvient des ready-made de Marcel Duchamp où celui-ci efface toute distinction entre œuvre d’art et objet quotidien (Duchamp ayant décidé qu’une roue de vélo était une œuvre d’art, digne d’être exposée, elle le devient par sa volonté même).

 




Démarche identique chez le peintre Kasimir Malevitch qui décide de sublimer un Carré blanc sur fond blanc




Libre à chacun de valider cette décision de sublimation et le discours esthétique qui le légitime ou tente de le légitimer. On appela cela « l’avant-gardisme » qui propulsa le marché de l’art contemporain. Cet art moderne ou contemporain (où est la frontière ?), le philosophe Theodor Adorno l’a défini comme « fragmentaire ». On peut penser, en effet, que l’art moderne postule, plus ou moins consciemment, que la partie est égale au tout. Rappelons que pour la pensée traditionaliste le Tout est supérieur à la somme des parties. Ars totum requirit hominem (« l’Art exige l’homme dans son intégralité ») prévient une maxime alchimiste. Dès lors, nous mesurons l’abîme infranchissable séparant ces deux conceptions de l’art (et, plus généralement, la façon de comprendre ou de ressentir la Vie elle-même). Dans les Années soixante-dix l’IRCAM proposera à la curiosité générale d’écouter des compositions faites par un ordinateur dûment préparé, à la différence du public. Non seulement le compositeur avait cessé de jouer son rôle, mais l’instrument de musique avait cédé sa place à un appareil.


 

LE DISCOURS SUR L’ART MODERNE OU LA MONTAGNE QUI ACCOUCHE D’UNE SOURIS


L’alibi de l’art moderne, de l’atonalisme notamment, est de déstabiliser le spectateur ou l’auditeur, de le forcer à dépasser ses habitudes de penser, de percevoir. Ce n’est plus l’œuvre d’art qui, par ses vertus d’harmonie, est transcendantale mais par seul son effort de déstabiliser. L’art moderne déconstruit la Beauté afin de laisser le public libre de la reconstruire en lui-même. Pour le journaliste Guillaume Benoit : « Difficile de ne pas se sentir dépassé, perdu et finalement pris pour un imbécile si tant est qu’on s’attend à en tirer un sens, une réponse. Mais voilà, ce sentiment n’a rien d’étrange et disparaît de lui-même dès lors que l’on cesse d’attendre qu’il nous dise quelque chose. Car, finalement, l’œuvre n’est pas une réponse. […] Autrement dit, plus qu’à n’importe quel autre moment, le spectateur entre en scène pour déterminer la "qualité" de l’œuvre. »15

Mais n’y a-t-il pas de l’hypocrisie, latente sinon effective, à attendre du public un effort que l’artiste n’a pas jugé utile de faire ? Accepterait-on qu’un cuisinier crée un plat qu’il est impossible de manger mais qui, éventuellement, permet de réfléchir sur ce qu’est la faim ? Pourquoi, rompant soudainement un contrat social immémorial qui a donné les plus belles preuves de sa nécessité, l’artiste contemporain s’arroge-t-il le droit de ne pas "donner" ce qu’autrui est en droit d’attendre de lui ? Au vu du laxisme dans lequel se complaît notre société, l’artiste contemporain ne court-il pas le risque de confondre "prétexte intellectuel" et "impuissance créatrice" ? Dans sa décision de ne pas secourir celui qui se tourne vers lui, l’artiste contemporain ne se rend-il pas coupable de non assistance à public en danger ?

Le philosophe Bernard Vergely constatait dans les années soixante qu’ « aujourd’hui, nous avons affaire à des formes de musique sans musique, de peinture sans peinture, de roman sans roman. » A cause de ce parti pris, l’art moderne – dont l’atonalisme et la musique expérimentale – semble condamné, faute de réalisations à la mesure de ses prétentions, de devoir toujours discourir sur ce qu’il prétend pouvoir accomplir ou pense avoir réalisé. Pour ne prendre l’exemple que de la musique contemporaine, les livrets des œuvres éditées en CD donnent la mesure de cette complaisance qu’ont nos  artistes progressistes à s’expliquer ou/et à se faire expliquer (et encenser). Se donnant pour mission de transgresser des limites que la tradition avait définies comme bénéfiques, l’artiste abstrait-atonal-expérimental, comme s’il doutait d’avoir réellement atteint son objectif, commente son entreprise. Les mots viennent au secours de partitions auxquelles il est interdit d’être mélodiques, thématiques ou simplement compréhensibles sans l’aide d’une argumentation extérieure. La musique de tel compositeur officiel est un « levier mystérieux – sans secrets – invitant à de lumineux voyages de l’écoute vers une métamorphose. Irritation voluptueuse de l’expérience du son et du temps – en transformation perpétuelle, se décomposant et se cristallisant : Phénix et cendre en même temps. »16 Telle œuvre d’un autre compositeur officiel a pour dessein de « suggérer des formes en croissance, des mouvements articulés, et de donner à l’auditeur, dans une intuition unique, le sentiment d’un process qui se déploie selon les lois d’un dynamisme générateur. »17 Dans une autre composition du même artiste, « harmonie, timbre, agogique disparaissent dans un jeu de perspectives, dans un fond omniprésent, diffus et insaisissable, partagé entre le vide et l’unité plénière. »18… N’y a-t-il pas un risque certain de se gargariser toujours plus de mots, d’autant plus grandiloquents qu’ils sont creux, afin de compenser le peu qu’ont à dire tant d’œuvres contemporaines commanditées. Il y a plus grave. A lire ces déclarations d’intentions émerge une évidence : l’avant-gardisme est condamné à s’autodétruire puisque, par vanité autant que par nécessité, il impose sa propre tradition, lui dont l’unique raison d’être est de s’opposer à toute tradition. Or, si l’avant-garde impose sa propre tradition – certes hermétique –, ses propres références – qui relèvent souvent du copinage de caste –, elle devient un art convenu, au même titre que ceux qui l’ont précédée. Chacun peut d’ailleurs constater combien d’idiotismes de l’art contemporain sont devenus des poncifs.


 

CONCLUSION PROVISOIRE


En quelques décennies, le public a pu mesurer les réels mérites de l’art contemporain et sa curiosité vite éteinte a fait place à l’indifférence19. Seule demeure l’habitude qu’ont prise les autorités publiques et les institutions de le subventionner coûte que coûte. De nombreux scandales sont venus éclairer les aberrations et les dangers de cette main mise étatique. Comme tous les artistes héritiers d’une longue tradition, le peintre Philippe Lejeune  se plaint : « Soucieux de modernité, désireux surtout de se débarrasser d’un impératif aussi lourd à porter que la beauté, la querelle des anciens et des modernes que nous vivons consiste tout simplement à supprimer la référence à la beauté. […] Vous savez qu’un slogan fameux était d’interdire tout interdit. L’art contemporain ne vit que d’ukases. N’importe quoi sauf la représentation. » (Rapport Taylor, juillet 2006). Même constat chez le peintre et essayiste Jean Monneret : « L’Etat veut faire croire au public qu’il n’y a qu’un art digne d’intérêt, l’art dit "contemporain", c’est-à-dire l’art d’Etat. Comme si l’installation, la performance ou l’art inculte – pour peu que la légende qui l’accompagne relève de la logorrhée – soient, à eux seuls, la suite historique, linéaire, indiscutable de la tradition artistique. » (Catalogue raisonné du Salon des indépendants, 2000). Comme au temps de Louis XIV, l’élite autoproclamée (cette fois sur le seul critère du pouvoir politique) décide seule de la notoriété d’un artiste, de l’importance de son œuvre, notamment par le biais du réseau des FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain). Dans son ouvrage Fonctionnement et dysfonctionnement de l’art contemporain (2000) l’artiste Fred Forest témoigne des « contradictions d’un système qui ne peut plus perdurer sous la forme élitaire actuelle au profit d’une poignée de privilégiés, toujours les mêmes, qui bénéficient de la complaisance et de la manne publique. » Ces mêmes institutions promeuvent l’expérimentalisme musical et pictural, notamment par le biais des Conservatoires et de ce que l’on appelle encore, sans doute par antiphrase, les Beaux-Arts.

La mort de l’Art est-elle une fatalité dans une société matérialiste déjà responsable de la mort (?) de Dieu ? Ne pouvant plus prétendre à l’Art avec une noble majuscule, sommes-nous condamnés à nous contenter de l’art contemporain ? Pour le peintre et essayiste Marc Veyrat, « l’illusion [démocratique] a désormais remplacé la morale laïque et intransigeante de la Troisième République, et le culte de la démocratie celui de la patrie. Mais la finalité reste la même : le conditionnement accompagné d’un espoir de paix sociale et de bonne conscience. Les disciplines artistiques possèdent, semble-t-il plus que tout autre, la caractéristique de mettre en évidence cette illusion, les carences de ladite démocratie et de ce confort apporté par la fonction publique. Ainsi, depuis longtemps, on n’apprend rien ou presque dans les facultés et écoles d’art. Mais peu importe ! L’essentiel étant pour les enseignants, les inspecteurs, les conseillers, et pour la plupart sans aucune espèce de garantie, de faire croire afin de préserver sa rente de situation. » (« L’art contemporain et ses institutions ou le paradoxe et l’arbitraire »). C’est ainsi que l’on se retrouve en France avec des Beaux-Arts où les élèves n’apprennent plus à dessiner ni à étudier les lois de la perspective. Un ancien étudiant témoigne : « J’ai été admis à l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Paris. […] Avec la disparition de l’académisme il y a un énorme vide, dû à l’absence du sujet et à un grand manque d’habilité "technique". Les grands artistes modernes ont, pour la plupart, fait évoluer leur vision du monde de leurs acquis académiques vers des visions nouvelles mais ils n’ont jamais cru que ces acquis étaient désuets, c’était la base de leurs connaissances. Si on veut peindre comme Picasso il ne faut pas étudier Picasso, mais d’abord étudier ce que Picasso étudiait. »20

Cette dernière phrase est emblématique du malaise qui frappe les artistes qui cherchent puis trouvent un sens à la vie. Mais notre pays, sous la tutelle de l’Etat, s’est engagé dans une politique artistique prétendument contemporaine21. C’est ainsi que l’on se retrouve en France avec de jeunes compositeurs qui, entrés au Conservatoire National Supérieur de Musique, n’ont pas d’autre choix que celui d’apprendre la composition avant-gardiste. Car pour un certain professorat incarnant l’arrière-garde de l’avant-garde, les musiques de ballet, de scène, de films sont de la « sous-musique ». Les nouveaux compositeurs sont donc réduits à ne jamais regarder derrière eux. "Toujours aller de l’avant !" est le mot d’ordre, même si c’est droit dans le mur. Un compositeur qui d’instinct ou par choix artistique voudrait retrouver les chemins qui mènent à l’Harmonie ne trouverait, en France, pas un professeur pour l’y encourager. Tu seras avant-gardiste, ou rien. C’est Mozart que l’on assassine...




Mozart (7 ans), peint par Greuze



...tout autant que Ravel ou Gershwin. Car où a-t-on vu qu’un artiste pouvait être grand sans avoir au préalable assimilé la tradition qui l’avait précédé ? Charles Hambitzer, le professeur de piano de Gershwin âgé de quinze ans, donna cette appréciation sur son élève : « Il veut se spécialiser dans ce nouveau truc, le jazz-machin-chose. Pas question pour l’instant. Il lui faut une solide formation classique pour s’aventurer. »



George Gershwin



La Tradition n’est-elle pas précisément ce bon sens, ce courant de forces, cette chaîne initiatique qui nourrit tout artiste qui veut, par l’intermédiaire de sa propre œuvre, offrir au public le meilleur de toutes les œuvres qui ont précédé la sienne avec, en prime, cette explication du monde ou de lui-même dont il peut espérer (mais uniquement s’il parvient à assimiler les leçons des siècles précédents) être le seul dépositaire. Quel plus beau cadeau un artiste peut-il offrir qu’être lui-même, et non le représentant d’une théorie ou d’une école ? Faire table rase du passé n’est pas un enseignement, c’est un parti pris. Prenant conscience que toute doctrine imposée était préjudiciable à l’artiste résolu à trouver sa propre expression, le compositeur finlandais Erkki Salmenhaara fut très critiqué pour « avoir changé la direction de sa luge » en renonçant, comme bien d’autres, à son style avant-gardiste du début des années 1960. Désormais en accord avec les raisons esthétiques ou philosophiques qui ont amené une désaffection toujours plus grande du public envers la musique expérimentale, il répondit en 2003 : « Ce n’est pas ma luge qui a changé de direction, c’est la pente. » Et de souligner que « trouver des thèmes est une des missions les plus difficiles, les plus exigeantes et les plus précieuses du compositeur. […] Pour moi, il est important de sentir que je fais partie d’une tradition centenaire. C’est à mon tour d’y apporter ma contribution. »22 Pour les mêmes raisons, une jeune diplômée de l’IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) espère que « l’art peut encore exister, qu’il existera toujours, même si les pouvoirs publics ne font rien pour le mettre en valeur et le développer. Ce sont les provocateurs nihilistes que l’on écoute, laissant croire au public non averti que tout l’art contemporain se résume à ce que les politiques et certains intellectuels ont décidé de nous montrer. Les artistes, eux, travaillent dans l’ombre, mais l’important, c’est qu’ils soient là, pour que l’art ne meure  pas ! »23

A cause de Pouvoirs publics incapables de reconnaître leurs erreurs, encore moins leurs fautes de goût, la France ne donne (presque) plus de grands compositeurs qui soient de plain pied avec le public. Une politique nationale de désesthétisation artistique qui rejette le naturel et le sentiment contraint aujourd’hui encore les jeunes compositeurs français à se déconnecter du peuple. Fiers de leur langage artificiel, comme étaient fiers du leur les Précieux du XVIIe siècle, les professeurs de composition du Conservatoire National Supérieur de Paris s’obstinent à être l’ultime rempart d’un combat idéologique24 auquel le public n’a jamais adhéré. Ces dévots de modernité (ont-ils jamais connu autre chose ?) se gargarisent de doctrines et d’interdits religieux qui empêchent les nouvelles générations de s’essayer au plus beau des défis : atteindre la Beauté, retrouver l’Harmonie afin d’offrir à tous les hommes de bonne volonté une raison de communier.



Denis Boissier (Février 2010)



« Tout est possible dans la musique,

tant que cela reste et uniquement de la musique. »

Maurice Ravel.




Maurice Ravel



L’article "L’évolution de la musique classique : continuité et fracture" est lié à la


« Discothèque idéale de plus de 1000 œuvres orchestrales de sentiments »


et s’associe sur YouTube aux chaînes culturelles musicales


"collectionCB"    et    "collectionCB2"


qui présentent des chefs-d'œuvre classiques peu connus des XXe et XXIe siècles.






NOTES ET REFERENCES


1- Le cours de Victor Cousin sera publié sous le même titre en 1836.

2- cf. l’ouvrage Aesthetica de l’Allemand Baumgarten, paru en 1750.

3- Sur la Tradition primordiale lire René Guenon (notamment La Crise du monde moderne, 1927) et Julius Evola (notamment Révolte contre le monde moderne, 1934).

4- Ce stupide XIXe siècle (1922). Dans cet essai, Léon Daudet étudie et met à mal toutes les idées fausses de son temps. Il met aussi en garde contre le Romantisme, alors si en vogue, dans lequel il voit, avant tout chose, beaucoup de démesure, peu de sincérité, trop de cabotinage.

5- Notamment Montesquieu ou Hume.

6- Le cluster est une grappe de sons voisins ; sur un piano, on fait un cluster en frappant tout un octave avec le poing, le tranchant de la main ou même avec l’avant-bras. Comme on l’entend, ce n’est pas la délicatesse qui caractérise la musique du XXe siècle.

7- Notons le rôle effacé que joua Wolfgang Amadeus Mozart. Dans son quatuor pour cordes en do majeur n° 19 (KV 465) intitulé Les dissonances, écrit à Vienne en 1785 et publié la même année, il place dans le court  adagio qui introduit au 1er mouvement des dissonances qui durent faire sensation.


Sur une tonalité d’ut majeur, il ménage plusieurs altérations formant presque l’intégralité du total chromatique (notamment la bémol, mi bémol, fa dièse, do dièse, si bémol, ré bémol, sol bémol, etc.).     

8- Lire sur internet : « Pierre Corneille, le Janus du théâtre » a knol by Denis Boissier. Egalement : « L’affaire Corneille-Molière » a knol by Denis Boissier.

9- Lire sur le site corneille-moliere.org, rubrique EDITORIAUX MENSUELS : « Cessons de rêver le XVIIe siècle » (février 2008) et « Corneille, celui qui a dit "Non !" au conformisme » (septembre/octobre 2009). Pour une vue d’ensemble de l’idéologie du XVIIe siècle "classique" et de notre mécompréhension de ce qu’il fut réellement, rubrique ENTRETIENS  : « Cinq dialogues avec Denis Boissier ».

10- Préface à ses Divertissements (1631).

11- Lettre sur les vingt-quatre heures, 1630.

12- Préface de sa pièce Les Visionnaires, 1637.

13- « …"le propre de l’avant-garde, c’est de ne pas pouvoir se transmettre". C’est bien en cela qu’une éducation réussie ne peut être que foncièrement traditionaliste et cette idée semble assez déplaisante pour beaucoup d’enseignants. » Marc Veyrat (« L’art contemporain et ses institutions ou le paradoxe et l’arbitraire »), sur son site, rubrique « Témoignages » : http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/Temoignages.htm

14- « S’agit-il d’aimer la musique contemporaine ? Le point de vue d’un compositeur » (Conférence du 8 janvier 1993).

15- Guillaume Benoit, « Faut-il se méfier de l’art contemporain ? ».

16- A propos de Vortex temporum (1994-1996)  de Gérard Grisey, professeur de composition au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Cette œuvre est une commande du Ministère de la Culture.

17- A propos de L’Origine du monde (2004) de Hugues Dufourt, fondateur du Collectif de Recherche Instrumentale et de Synthèse Sonore (CRISS). Hugues Dufourt a obtenu le Prix du Président de la République décerné en décembre 2000 pour l’ensemble de son œuvre.

18- A propos de The Watery star (1993) de Hugues Dufourt.

19-  « Comparé aux Salons du XIXe siècle qui, en France, attiraient des milliers de visiteurs, les manifestations d’art contemporain ont une fréquentation pour le moins modeste. » Marc Veyrat,  « L’art contemporain et ses institutions, ou le paradoxe et l’arbitraire ». http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/kant8.htm

20- Mail de Krzysztof Bednarski, 2007. Sur le site du peintre Marc Veyrat, rubrique « Témoignages » : http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/Temoignages.htm

21- Le compositeur François Nicolas fait cette remarque pertinente : « la musique dite contemporaine n’est pas en fait contemporaine, puisqu’elle ne semble pas devoir partager avec le reste du monde le même temps ?  » (« S’agit-il d’aimer la musique contemporaine ? », 8 janvier 1993).

22- Propos recueillis par Pekka Hako, 2003.

23- Mail d’Irène Dubœuf. Sur le site du peintre Marc Veyrat, rubrique « Témoignages » :

http://pagesperso-orange.fr/verat/la_peinture/Temoignages.htm

24- Evoquant un récent débat télévisé le compositeur François Nicolas constate : « Plusieurs personnes s’y interrogeaient sur la politique culturelle de l’Etat français et, se félicitant de ce que presque tous les arts aient abandonné l’idée d’avant-garde, ils s’irritaient de ce que la musique fasse ici exception.  Là où, selon eux, les arts plastiques, la littérature, etc., s’étaient rangés depuis longtemps aux délices du divers, aux plaisirs de la sensation, fût-elle archaïque, seule la musique résistait. » (« S’agit-il d’aimer la musique contemporaine ? Le point de vue d’un compositeur », Conférence du 8 janvier 1993). 

 


PETITE BIBLIOGRAPHIE  


ADORNO, Theodor, Minima Moralia, 1951. trad. fr. E. Kaufholz, 1980. 

DELIEGE Célestin,  "Du sérialisme à l'informatique musicale : digression sur un canevas de Hugues Dufourt", CIREM 35/36, Rouen, 1995 : 67-80. 

DUFOURT Hugues, " Musique et principes de la pensée moderne : des espaces plastique et théorique à l’espace sonore ", in Musique et Médiations, H. Dufourt & N-M. Fauquet, 1994.

LEIBOWITZ René, Schönberg et son école, 1947.

                               L’évolution de la musique, de Bach à Schönberg, 1951.

STOCKHAUSEN, Karlheinz, " Situation actuelle du métier de compositeur ", Domaine Musical 1, Paris, 1954. Version originale in Texte 1, 1963, Cologne.

FERRY Luc, Homo Æstheticus, 1990.

GENARD Jean-Louis, « Que reproche-t-on à l’art contemporain ? » in Cahiers marxistes, n° 221, mars-avril 2002.

                                    « Qu’est-ce que l’art contemporain ? » in La Revue nouvelle, n°7, juillet 2003.

SOURGINS Christine, Les Mirages de l’art contemporain, 2005.

TAYLOR Charles, Les Sources du moi, 1998.

 


LIENS SUR INTERNET

« Briser le carcan des réseaux et des idées reçues,

 du mythe dévastateur des avant-gardes,

 n’est pas chose aisée. »

Marc Veyrat

 

Réfléchir sur l’art contemporain :

BENOIT Guillaume « Faut-il se méfier de l’art contemporain ? »

http://www.evene.fr/arts/actualite/definition-comprendre-art-contemporain-2307.php

GENARD Jean-Louis, « Qu’est-ce que l’art contemporain ? »

www.revuenouvelle.be/IMG/pdf/010-021_dossier_Genard-12.pdf

VEYRAT MARC, « L’art contemporain et ses institutions ou le paradoxe et l’arbitraire » sur son site : http://pagesperso-orange.fr/Verat/la_peinture/sommaire.htm

 

Réfléchir sur la musique contemporaine :

DELIEGE Célestin, « Du sérialisme à l’informatique musicale : digression sur un canevas de Hugues Dufourt » http://www.entretemps.asso.fr/Deliege/Celestin/Textes/SerialismeInformatique.html

NICOLAS François, « S’agit-il d’aimer la musique contemporaine ? Le point de vue d’un compositeur » (Conférence du 8 janvier 1993) :

http://www.entretemps.asso.fr/Nicolas/TextesNic/Noria6.html

 

Pour une approche d’une discothèque idéale des œuvres orchestrales de sentiments :

Discothèque idéale des œuvres orchestrales de sentiments