Alexandre Dumas : déshonneur intellectuel et « dumagogie »
Alexandre Dumas : déshonneur intellectuel et « dumagogie »
RÉSUMÉ
Alexandre Dumas fut un négrier littéraire. Grâce à l’hypocrisie sociale contemporaine, il a été mis au Panthéon pour n'avoir écrit aucun des chefs-d'œuvre qu'il a signés. Avant d’être considéré comme un mythe, Dumas fut un homme, et c’est cet homme que nous montrons du doigt. N’en déplaise à ses thuriféraires, Dumas multiplia les mensonges éhontés et les engagements non tenus, se déroba à toute déontologie à grand renfort de contrats rompus et de collaborateurs anonymes exploités et humiliés. Et c’est ce négrier littéraire redoutable, vendeur de 301 volumes et de 91 pièces de théâtre, que les Français ont fait entrer au Panthéon, le jeudi 21 novembre 2002. Alexandre Dumas ou le déshonneur intellectuel. Le sien et le nôtre. Nous qui, faute de reconnaître la grandeur chez les artistes vrais, inventons des demi-dieux pour cacher nos hypocrisies. De la démagogie à la « dumagogie », il n’y a qu’un pas.
Denis Boissier
(20 mars 2010)
« Un roman signé Alexandre Dumas, cela vaut
trois francs la ligne ; un roman signé Alexandre
Dumas et Auguste Maquet, cela vaut trente sous ! »
Emile de Girardin, directeur de La Presse.
Alexandre Dumas, par Etienne Carjat
INTRODUCTION
Une société se construit avec un peu de vérité et se maintient avec beaucoup de mensonges. Elle se maintient mais se fragilise. Pour lui redonner la santé, il faut croire à la liberté de parole et combattre les mensonges selon ce principe : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. » Une phrase attribuée à Voltaire qui n’est pas de lui mais de sa biographe Evelyn Beatrice Hall1, laquelle a reconnu l’avoir attribuée par erreur à Voltaire. Entre une erreur et un mensonge, la distance est faible, d’autant qu’un mensonge suffisamment répété finit par faire une vérité commode.
Cet article veut dire la vérité incommode sur Alexandre Dumas (1802-1870). Car avant d’être considéré comme un mythe, Dumas fut un homme : et c’est cet homme que nous montrerons du doigt.
L’art, c’est ce que l’homme fait de mieux. A la fois la plus hardie des générosités et le plus humble des orgueils. Les vrais artistes sont rares. Ils ouvrent une fenêtre sur le ciel quand les hommes, souvent, vivent à hauteur de trottoirs. Parce qu’il faut un ciel bleu pour s’aérer les poumons et les idées les vrais artistes sont indispensables. D’où la nécessité de leur rendre hommage. Et c’est là que le bât blesse. Une société qui souvent ne sait pas même reconnaître la valeur d’une œuvre d’art2 est encore moins apte à juger d’un artiste, de sa grandeur. D’où l’importance de distinguer entre artiste et imposteur. Car il y a des imposteurs dans tous les domaines, et l’art n’échappe pas à la règle. C’est pourquoi nous devons parler d’Alexandre Dumas.
Que nous dit la postérité ?
_ Quel grand auteur, ce Dumas ! Quel imposant créateur ! Quel prodigieux génie !
Répondons-lui :
_ Ni un auteur, ni un créateur, encore moins un génie. Mais quel grand ambitieux ! Quel imposant hâbleur ! Quel prodigieux négrier littéraire !
_ Mais puisque la postérité est favorable à Dumas, pourquoi nager à contre-courant ?
_ Parce que les hommes, comme les saumons, ont meilleur goût après.
_ En attaquant Dumas, vous allez vous mettre à dos beaucoup de gens.
_ Seulement ceux qui tournent le dos à la vérité.
LE CONTRAIRE DE L’ART N’EST PAS LA VÉRITÉ, C’EST L’IMPOSTURE
Qui est Alexandre Dumas ? Un auteur dramatique ? Le fondateur de deux journaux éphémères ?3 Un directeur de Théâtre qui fit faillite par sa faute ? Un parvenu qui se fait construire un château dans lequel il héberge deux perroquets, une guenon et un vautour ? Un voyageur exubérant qui visita la Russie, l’Afrique et accompagna Garibaldi dans son expédition sicilienne des Mille ? Une centrale d’énergie qui tourne à plein temps ?
Pour son biographe Dominique Fernandez, « on sait qu’il changeait de maîtresse aussi facilement que d’habit et qu’il eut une demi-douzaine d’enfants, tous naturels, et chacun d’une femme différente. Ses livres aussi, à vrai dire, sont tous un peu bâtards. »4 Pour le critique Axel Preiss : « Extraordinaire, l’homme l’est en effet, multiple, paradoxal, à mi-chemin entre l’inculture et le génie, mieux payé que tous ses confrères et en même temps perdu de dettes, hésitant dans sa vie entre le roman de mœurs et la farce. […] Un personnage, voyant, vulgaire parfois, avantageux, bruyant, scandaleux, plaisant et prodigieux. […] Une sorte d’auteur-surhomme, un mythe auquel il est le premier à croire. On aurait tort d’ailleurs de s’en indigner. Il y a en effet de la naïveté ou de la mauvaise foi à installer des questions de morale en littérature. »5 Nous voilà avertis : avec Dumas, pas question de se montrer moral, honnête, encore moins lucide. Dumas, c’est l’exception française artistique. Cet ambassadeur de l’Esprit français doit rester hors d’atteinte de la police des mœurs et des enquêteurs littéraires.
Qui est Alexandre Dumas, demandions-nous ? Il est celui par qui les scandales arrivent et qui a presque réussi à enlever toute noblesse au métier d’écrivain. Plusieurs de ses contemporains en témoignent. Par exemple, Louis de Loémie : « Atteint par cette déplorable contagion d’industrialisme, la lèpre de l’époque, M. Dumas, on peut et on doit le dire, semble aujourd’hui voué corps et bien au culte du veau d’or. Sur l’affiche de quel théâtre, même le plus infime, dans quelle boutique, dans quelle entreprise d’épiceries littéraires n’a-t-on pas vu figurer son nom ? Il est physiquement impossible que M. Dumas écrive ou dicte tout ce qui paraît signé de lui. C’est une chose triste à contempler que cette décadence d’un homme bien doué sous certains rapports, mais dépourvu de cette conscience de l’esprit qui s’appelle le goût, qui maintient la dignité chez l’écrivain, et dont le talent ne saurait résister longtemps encore au régime meurtrier de la littérature industrielle. »6
Ou bien Eugène de Mirecourt : « C’est un personnage très original et très fantasque, un prototype incroyable. C’est une nature à désorienter tous les psychologues, à confondre tous les moralistes, un mélange bizarre de qualités supérieures et de défauts absurdes. Il est vantard, fanfaron, tranche-montagne ; tantôt orgueilleux comme Satan, tantôt populaire comme un épicier ; aujourd’hui féroce, demain timide. Le caprice est sa loi, le premier mouvement sa règle. […] Vous devinez bien que, pour M. Dumas, la collaboration représente le repos, le farniente, les doux loisirs, le divan d’une maîtresse, la détonation du champagne, les bals masqués, les voyages en poste, les joies de Florence, les courses en Suisse, les biftecks d’ours et une foule de choses gracieuses, dont il n’aurait pas le bonheur de jouir si, par-ci, par-là, il ne confiait à d’autres la confection d’un chef-d’œuvre. »7
_ Voilà bien de ces jaloux qui n’ont que le réflexe de médire !
_ A notre tour ne médisons pas. Louis de Loémie était un homme affable, circonspect et citoyen. « Je suis de ceux chez lesquels un peu de succès ne fait qu’éveiller le sentiment d’une responsabilité plus grande »8, déclare-t-il. Quant à Eugène de Mirecourt, il se destinait à la prêtrise. C’était un naïf qui croyait qu’on allait le féliciter d’avoir révélé au public le vrai Dumas.
_ Tout grand homme a ses détracteurs, c’est bien connu… Dumas était un homme de cœur. Il y a des témoignages.
_ Surtout le sien.
_ Dumas avait le sens de l’amitié. Hugo a témoigné pour lui.
_ C’est vrai.
_ Ah ! vous voyez bien.
DUMAS MARCHAND D’ILLUSIONS
N’en déplaise à ses thuriféraires, Dumas multiplia les mensonges éhontés et les engagements non tenus, se déroba à toute déontologie à grand renfort de contrats rompus et de collaborateurs anonymes exploités et humiliés. Et c’est ce négrier littéraire redoutable, vendeur de 301 volumes ("son" œuvre chez l’éditeur Michel Lévy), que les Français ont fait entrer au Panthéon, le jeudi 21 novembre 2002.
Alexandre Dumas ou le déshonneur intellectuel. Le sien et le nôtre. Nous qui, faute de reconnaître la grandeur chez les artistes vrais, inventons des demi-dieux pour cacher nos hypocrisies.
Fatigués par ses extravagances et ses mensonges, les contemporains de Dumas l’ont peu à peu écarté. Il mourut dénigré de tous, sauf de son fils, lequel, parce qu’il avait une écriture semblable à la sienne, lui fut un très utile copiste. Demandons-nous si le jugement que nous autres Modernes portons sur Alexandre Dumas n’est pas perverti par une propagande démagogique. Car pour encenser aujourd’hui Dumas, il faut, nous semble-t-il, que la postérité ait de sérieux trous de mémoire. Souvenons-nous… : Le duc d’Orléans – son premier bienfaiteur – lui propose d’écrire l’histoire de tous les régiments de France, 8 000 francs par volume ; « M. Dumas fait aussitôt rédiger cet ouvrage par un nommé Paschal, pauvre diable qu’il paie à raison de cinquante écus, de sorte que lui-même, sans écrire une ligne, empoche 7 800 francs par tome. »9 Souvenons-nous… : Le drame Kean (1836), qui fit sa gloire, vient d’une pièce de Théaulon et Courcy, que l’on adapta et que Dumas prit la peine de signer. Souvenons-nous… : La collaboration avec Frédéric Gaillardet pour La Tour de Nesle (1832) se termina par un duel au pistolet. Gaillardet touchait quarante-huit francs par représentation ; Dumas en empochait deux cent cinquante.
Le Bouffon, page de titre (1867)
Bel exemple que cet homme qui fait du plagiat un commerce et pousse la désinvolture jusqu’à publier sous son nom l’œuvre d’un romancier qui était parue en feuilleton. Sans doute ce que d’aucuns appellent « l’inspiration permanente » chez Dumas.
Dumas, marchand d’illusions, se révèle tout entier dans ce tour de passe-passe : un de ses collaborateurs lui intente un procès et Dumas est entendu par le président du tribunal. Il parle tant que le président en oublie l’heure. Dumas s’exclame alors : « Eh bien ! causez pendant le même temps avec mon collaborateur et vous me direz après qui est le véritable auteur de la pièce ! »
Aujourd’hui nous applaudissons. Mais c’est confondre effet de manche et création littéraire. Pas plus qu’« un coup de dés jamais n’abolira le hasard », beaucoup de bagou ne fera un écrivain authentique. Mais Dumas se moque d’être considéré comme un écrivain authentique, ni même comme un écrivain. Il ne prétend qu’à la gloire d’être Alexandre Dumas, car il sait qu’il n’a besoin que d’être lui-même. Dans leur Journal, à la date du 14 février 1866, les frères Goncourt écrivent : « Entre au milieu de notre conversation, Dumas père, cravaté de blanc, gileté de blanc, énorme, suant, soufflant, largement hilare. Il arrive d’Autriche, de Hongrie, de Bohême… Il parle de Pesth où on l’a joué en hongrois, de Vienne où l’empereur lui a prêté une salle de son palais pour faire une conférence ; il parle de ses romans, de son théâtre, de ses pièces qu’on ne veut pas jouer à la Comédie-Française, de son Chevalier de Maison-Rouge qui est interdit, puis d’un privilège de théâtre qu’il ne peut obtenir, puis encore d’un restaurant qu’il veut fonder aux Champs-Elysés. Un moi énorme, un moi à l’instar de l’homme, mais débordant de bonne enfance, mais pétillant d’esprit. »
— On se sent déjà prêt à tout lui pardonner !
— Ce à quoi consentent volontiers les dumasolâtres.
— Je perçois en vous comme un regret de ne pas l’aimer plus.
— Aussi du remords.
— Diantre ! Du remords, pour quoi faire ?
— Trop longtemps, comme tout le monde, je me suis satisfait d’un amour aveugle. Mais dans la seule année 1840, M. Dumas, ayant fait la fête partout, a publié vingt-deux volumes in-8°, et cela me pose un problème…
UN POUR TOUS. TOUS POUR UN. DUMAS POUR TOUS. TOUS POUR DUMAS.
D’autres que nous ont su résister au charme débraillé de l’imposant personnage. Sainte-Beuve, par exemple : « Alexandre Dumas, malgré tout son fracas, n’est tout au plus qu’un esprit de quatrième ordre. Car où classer un écrivain chez qui on est sûr de ne rencontrer jamais ni la pensée élevée, ni la pensée délicate, ni la pensée judicieuse ? ».
Cette remarque ne concerne que l’écrivain, si l’on peut dire. Qu’en est-il de l’homme ? « Il semble, dans beaucoup de cas, que Dumas arrive pour ainsi dire en bout de chaîne, au moment où le texte est déjà passé par bien des mains ; celles, par exemple, de Gaillardet et de Jules Janin pour La Tour de Nesle. De même, Richard Darlington provient d’un canevas de Goubaux et Beudin, et c’est Anicet-Bourgeois qui apporte à Dumas sa Teresa et le Fils de l’émigré. Mais ce n’est pas une règle générale : Dumas ne se contente pas de remettre debout des ouvrages mal venus ou impossibles à terminer. Souvent, il donne l’idée de départ, et le collaborateur lui remet ensuite un texte déjà bien travaillé. […] Déterminer la part de chacun devient, dans ces conditions, à la fois inutile et impossible : on peut seulement signaler qu’obligé un jour de reconstituer un épisode manquant, Maquet retrouva les cinq cents lignes demandées et qu’il n’y avait entre elles et le texte revu par Dumas qu’une trentaine de mots différents. A la limite même, le "contrôle" a pu disparaître, et il est certain que bien des pages, des livres éventuellement, signés Dumas, n’ont pas même été lus par leur auteur supposé » constate le dumasien Axel Preiss10. Pourquoi user d’euphémismes pour décrire le procédé ? Pour Le Chasseur de Sauvagine (1859, 2 vol.) de Georges Gaspard de Cherville, signé Dumas, la contribution de ce dernier – il l’avoue lui-même – ne consista « qu’à ajouter un point sur l’i du dernier mot du titre ». Chacun de « ses » romans a une genèse obscure et peu flatteuse. Encore si cela ne concernait que les œuvres les plus oubliées, mais le doute s’accroît pour les romans les plus célèbres. Peut-on donc raisonnablement proclamer que Dumas fut un écrivain exceptionnel alors qu’il n’a créé aucun des chefs-d’œuvre qu’il a signés ?
Que Dumas se soit vu comme une providence pour tous « les petits, les obscurs, les sans grade », c’est une évidence et c’est la clef de sa désinvolture carnassière. En février 1865 il écrivait à un de ses collaborateurs, Paul Meurice : « Un jour, vous m’empruntâtes mon nom pour vous rendre un service que ne pouvait vous rendre ma bourse […] Vous fîtes sous mon nom Les Deux Diane, l’ouvrage eut du succès. » L’on comprend combien fut précieuse aux plus humbles la noble existence de ce directeur d’atelier qui permet à ses ouvriers de grappiller des miettes d’un pactole qui ne doit son existence qu’au seul nom de Dumas.
Dumas est l’oiseau Roc des mille et une nuits passées à recopier les manuscrits d’autrui. C’est l’aigle aux 92 plumes/92 nègres. Un critique résumera : « Personne n’a lu tout Dumas, pas même lui. » Et c’est qui enivre notre homme : que personne ne puisse se vanter de découvrir tous ses artifices. Il est le parrain d’une organisation lucrative, le caïd d’un réseau dont voici quelques membres secondaires :
Gouraux et Beudin : Richard Darlington (1831), drame signé Dumas
Cordelier-Delanque : Napoléon Bonaparte (1831), drame signé Dumas
Anicet-Bourgeois et Durieu : Le Mari de la veuve (1832), comédie signée Dumas
Auguste Anicet-Bourgeois : Térésa (1832), drame signé Dumas
Louis Gosselin : Jacques Ortis (1836), roman signé Dumas
Félicien Mallefille : Pierre le cruel (1841), roman signé Dumas
Dennery : Halifax (1842), comédie signée Dumas
Brunswick : Les Demoiselles de Saint-Cyr (1843), comédie signée Dumas
Paul Meurice : Ascanio (1844), 5 volumes signés Dumas
Hippolyte Augier : Fernande (1844), 3 volumes signés Dumas
Paul Meurice : Amaury (1844), 4 volumes signés Dumas
Louis Couailhac : La Fille du Régent (1845), 4 volumes signés Dumas
Paul Meurice : Les deux Diane (1847), 10 volumes signés Dumas
Paul Bocage : Les Mille et un fantômes (1849), 2 volumes signés Dumas
Ernest Capendu : Le Vicomte de Bragelonne (1850), 26 volumes signés Dumas
Paul Bocage : Les Mohicans de Paris (1855), 19 volumes signés Dumas
Etc.,etc., ad infinitum.
Dumas aimait signer sa correspondance : Al Dumas. La devise de cet Al Capone de l’écriture mafieuse, tout le monde la connaît : « Un pour tous. Tous pour un. » Oui : Dumas pour tous. Tous pour Dumas. Les écrivains sans ressource lui font allégeance. Et comme pour Al Capone ou César Borgia, se trouvent toujours d’honnêtes gens pour s’offusquer qu’on puisse douter de la grandeur d’âme d’un si illustre concitoyen. Le critique Axel Preiss nous a prévenus : « Il y a de la naïveté ou de la mauvaise foi à installer des questions de morale en littérature. »11
Puisque nous ne sommes pas de « mauvaise foi », soyons naïfs. Et demandons-nous pourquoi les idolâtres de Dumas ne comprennent pas qu’il est indécent d’admirer en Al Dumas le rouage grinçant d’une littérature industrielle qui exploite les pauvres, les innocents, les naïfs. Est-ce parce qu’ils croient à ce qu’Alexandre Dumas fils écrivit pour glorifier la mémoire de son géniteur dont s’étaient lassés ceux qui l’avaient trop bien connu : « A ce siècle, né pour tout dévorer, tu étais bien l’homme qu’il fallait, toi né pour toujours produire. » ?12
Nous soupçonnons que dans son premier jet, le rejeton avait écrit : « toi né pour toujours dévorer ». Mais sans doute les dumasolâtres veulent-ils admirer sans entrer dans les détails… Un homme est d’autant plus « grand » et « brave » que l’on ne cherche pas à établir le catalogue exhaustif de ses petitesses et lâchetés.
Une autre cause préparait la panthéonisation de Dumas : les ukases qui gâchent l’esprit des meilleurs hommes et tiennent les autres en soumission. Oui, la terre est au centre de l’Univers. Oui, Alexandre Dumas est le plus grand romancier français. Voilà qui ne se discute pas. Tel biographe le vénère à l’égal de Victor Hugo, tel autre voit en lui un « surhomme littéraire »13, justifiant encore une fois la phrase évangélique : ils ont des yeux et ne savent pas voir… et encore moins lire entre les lignes.
Rendez-vous compte : Alexandre Dumas est l’auteur français le plus lu dans le monde ! Dumas est un phare qui éclaire toutes les nations ! C’est ce que proclame Victor Hugo (1802-1885) qui l’a bien connu : « Le nom d’Alexandre Dumas est plus que français, il est européen ; il est plus qu’européen, il est universel. […] Alexandre Dumas est un de ces hommes qu’on pourrait appeler les semeurs de civilisation ; il assainit et améliore les esprits ; il féconde les âmes, les cerveaux, les intelligences ; il crée la soif de lire ; il creuse le coeur humain et il l’ensemence. Ce qu’il sème, c’est l’idée française. L’idée française qui contient une quantité d’humanité telle que partout où elle pénètre, elle produit le progrès. De là l’immense popularité des hommes comme Alexandre Dumas. Alexandre Dumas séduit, fascine, intéresse, amuse, enseigne. De tous ses ouvrages, si multiples, si variés, si vivants, si charmants, si puissants, sort l’espèce de lumière propre à la France. »14
_ Eh bien, n’est-ce pas beau comme du Hugo ?
_ Assurément.
_ Dumas a son certificat d’honnête homme dûment signé.
_ A n’en pas douter… Cependant…
_ Ah ça, Monsieur, auriez-vous l’esprit assez chagrin pour ne pas saluer celui qui durant la seule année 1843 a publié Le Corricolo, Les Demoiselles de Saint-Cyr, Filles, lorettes et courtisanes, sans oublier Georges. Et l’année d’après : Sylvandire, Fernande, Les Trois mousquetaires (excusez du peu), Le Château d’Eppstein, Cécile, Louis XIV et son siècle… Et en 1845 : Le Comte de Monte-Cristo, Vingt ans après, La Guerre des Femmes, Les Frères corses, Gabriel Lambert, Une fille du régent, Le Chevalier de Maison-Rouge, La Reine Margot !
_ Et cela ne vous met pas la puce à l’oreille ?
_ Si vous ne comprenez pas qu’il s’agit un Hercule des Lettres, c’est que vous avez perdu tout sens de la mesure !
_ Exactement, nous avons perdu tout sens de la mesure. Car Alexandre Dumas n’a écrit aucun de ces livres.
_ Joseph Balsamo, en 1846 !
_ Pas un chapitre.
_ Le Vicomte de Bragelonne…
_ Pas davantage.
_ Robin des Bois au moins !
_ C’est Marie de Fernand, une collaboratrice de Dumas, qui en est l’auteur, enfin… même pas car elle a adapté un roman de l’Anglais Pierce Egan.
_ La Tulipe noire ! Mon livre fétiche…
_ Hélas…
_ Pourtant…
_ Suffit.
_ Permettez…
_ N’insistez pas. Aller à la ligne comme Dumas m’agace prodigieusement (adverbe que Dumas aime bien).
_ Moi je crois qu’il est l’auteur de Saphir, du Page du duc de Savoie, de La Dame de volupté, de La Boule de neige, de La Fille du Marquis…
_ Ne comptez pas davantage. Ce n’est plus l’œuvre d’un écrivain, c’est le catalogue d’un libraire !
Victor Hugo
Ecrire que « Dumas est un écrivain français né le 24 juillet 1802 à Villers-Cotterêts et mort le 5 décembre 1870 à Puys, près de Dieppe » est une licence poétique. Il n’a jamais été un écrivain au vrai sens du mot. Et il n’est jamais mort car on l’a transformé en un mythe à l’usage des lecteurs nostalgiques de leur enfance livresque. Aussi, grâce à une postérité peu regardante et une récente mise au panthéon, son « nom » continue de faire rêver les éditeurs et évite au public de poser les questions indiscrètes.
Mais il y a les sceptiques, qui ne croient pas aux demi-dieux encensés par la crédulité. Ceux qui ont des yeux et savent lire, et reconnaître un style.
Le style d’Alexandre Dumas, c’est de ne pas en avoir. Ou plutôt, c’est d’avoir mis tout son style dans sa vie et ses ambitions, plutôt que de se fatiguer à le mettre dans des livres qu’il lui aurait pris plusieurs vies à rédiger, même s’il avait décidé de n’en publier que 100 au lieu de 301.
Le moraliste Julien Benda a écrit que « la plupart des hommes célèbres meurent dans un véritable état de prostitution ». Dumas, lui, vécut dans un véritable état de proxénétisme. Benda a aussi dit que « chaque époque veut avoir ses grands hommes et si elle ne les a pas, les invente. » Or, en littérature, Alexandre Dumas est la plus belle invention de l’esprit mercantile et esclavagiste d’un siècle hypocrite.
Sans doute fallait-il – pour les besoins de la jeune République des Lettres – un homme qui devienne l’incarnation des appétits démesurés de la génération romantico-industrielle. Ce fut Dumas qui, rebroussant le chemin que lui traçait sa plume, préféra se faire entrepreneur littéraire. Et, comme tout affairiste lucide sur ses propres vertus, il s’entoura de collaborateurs dont il aura toute une armée, ce fils de général qui va devenir le généralissime de l’édition à bon marché et à bon compte. Comme tout conquérant, il s’est fait construire un palais, plus exactement un château, baptisé « Monte-Cristo », près de Saint-Germain-en-Laye. Un château qui lui ressemble, c’est-à-dire sans aucun style (à la fois Renaissance, Baroque et « M’as-tu-vu »). Ce que Balzac jalousait le plus chez Dumas c’était ce château "historique". Sans doute y voyait-il la seule véritable création de Dumas, et la lui enviait...
Alexandre Dumas, par Etienne Carjat
Un biographe de Dumas titre : Les Viesx parallèles d’Alexandre Dumas (2008). Deux parallèles ne pouvant jamais se rejoindre, nous en concluons qu’il est inutile de chercher Dumas dans les chefs-d’œuvre qu’il a signés. Et de la même façon que les mondes parallèles n’existent que dans la science-fiction, il y a dans la vie de Dumas beaucoup de "science-fiction", laquelle permet aux biographes ingénus de jouer avec les paradoxes et de rendre crédible l’utopie « Alexandre Dumas écrivain de génie ». De même, bien qu’André Maurois ait écrit Les Trois Dumas, ce n’est pas trois Dumas mais plusieurs dizaines que nous pouvons dénombrer. Dans la labyrinthique carrière qui fut la sienne, chaque galerie exploitée à outrance conduit à un auteur presque toujours différent. La multiplication des Dumas tient, comme celle plus évangélique des pains, au caractère divin de son auteur. Car derrière ce nom auréolé que révèrent les marchands de papier, se cache une ribambelle de nègres littéraires qui ont souffert de l’étouffement dans lequel ils furent maintenus.
« Stupide XIXe siècle » a statué Léon Daudet. Stupide XIXe siècle qui a préféré le Commerce à l’Art, qui a détruit la réputation du second au seul profit du premier. Docile XXe siècle qui a continué d’occulter la vérité et laissé croupir les nègres enchaînés. Quelle décision prendra le XXIe siècle, qui a commencé par panthéoniser ce forban des Lettres au lieu de lui dire ses quatre vérités ? Il est à craindre que notre siècle continuera d’être dupe de ce géant de l’esbroufe, de ce directeur des ouvrages fabriqués à la chaîne, de ce feuilletonesque aventurier des mots d’autrui.
LE TROU NOIR DE LA GALAXIE DES PAGES BLANCHES
Mesurera-t-on jamais le mal fait à tous les artistes sincères, aux talents personnels, aux véritables écrivains, chaque fois que l’on encense Gargantua Dumas ? Quand reconnaîtra-t-on l’utilité morale d’expliquer ce que fut ce fer de lance d’une bourgeoisie marchande qui voulait arriver (« mais dans quel état ? » ironisait Tristan Bernard) et qui a bradé et l’honneur et la noblesse d’âme ? La Muse d’Alexandre Dumas est celle de ces autres négociants que furent, pour les pièces de boulevard, Scribe, Labiche ou Feydeau. La Muse servile qui amuse, amasse de l’argent, massifie tout. La Muse bourgeoise, toute muselée. Une caricature de Muse qui offre des caricatures de l’Art.
Ils sont nombreux, ceux qui affirment aimer Dumas. Mais ont-ils songé qu’aimer Dumas, c’est approuver l’exploitation des plus démunis et rabaisser l’Esprit à n’être plus que le souffle d’une lente agonie de l’Art ? C’est confondre inspiration et arrivisme. L’excellente pièce de Cyril Gely et Eric Rouquette, Signé Dumas (2003) révèle un monstre, du latin monstratum = celui que l’on montre du doigt. Un monstre dans toute sa splendeur : moitié Falstaff moitié Napoléon.
Dans un siècle qui permettait l’exploitation de son semblable, Dumas, fort des soutiens moraux – si l’on peut dire – des éditeurs, des patrons de presse et des marchands de papier, Dumas fut un esclavagiste, conscient que son pouvoir sur les bourgeois venait de son statut de patron d’usine. Lorsqu’il essaya en 1848 de passer pour un homme politique, il fit placarder son grand mérite, le seul qui avait une réelle signification dans la société de son temps :
« Je me porte candidat à la députation ; je demande vos voix ; voici mes titres :
[…] Pendant ces vingt ans, j’ai composé 400 volumes et 35 drames. Les 400 volumes tirés à 4 000 et vendus 5 francs l’un, soit 11 853 600 francs, ont produit :
- Aux compositeurs …………………….. 264 000 francs
- Aux pressiers ………………………….. 528 000 francs
- Aux papetiers …………………………. 638 000 francs
- Aux brocheuses ………………………. 120 000 francs
- Aux libraires ………………………….. 240 000 francs
- Aux courtiers …………………………. 160 000 francs
- Aux commissionnaires ……………….. 160 000 francs
[…]
En fixant le salaire quotidien à 3 francs, comme il y a dans l’année 300 journées de travail, mes livres ont donné pendant vingt ans le salaire à 692 personnes… »
Le peuple refusa sa confiance au candidat Dumas « prodigieux fleuve narratif », selon la formule de son biographe Claude Schopp.
LE SIÈCLE ESCLAVAGISTE DE DUMAS ROI
Le XIXe siècle fut le siècle de la négation du faible et de l’exploitation de l’opprimé. Bien qu’il nous déplaise de l’admettre, ce siècle refusa aux gens de couleur une identité humaine et aux choses de l’Esprit un statut qui les protégeât de l’avidité et de l’avilissement.
Dumas, dans le domaine des Lettres, fut le grand profiteur de l’esclavagisme, trouvant naturel que les productions de l’Esprit soient la chose de celui qui les achète ou qui se les approprie aux yeux du « monde » (du « beau monde » s’entend). En 1845, un défenseur de Dumas, Pierre Ledru, sûr de son droit d’"honnête homme" (et soutenu par les éditeurs de Dumas) proclame : « Le trafic, la spéculation, l’industrialisation, sont le caractère dominant, l’essence des mœurs de cette époque du progrès. […] Il est donc admis, reconnu, que dis-je ? démontré que les idées sont des marchandises. Alors il devient facile d’établir le syllogisme suivant : J’ai le droit d’imposer mon nom à toute marchandise dont j’ai acheté la propriété. »15 Et chacun d’applaudir à ces "vérités" qui font le bonheur de tout petit-bourgeois qui se respecte, c’est-à-dire qui ne respecte que ses intérêts.
Aimer Dumas, c’est donc aimer l’esprit petit-bourgeois esclavagiste, cet esprit – ou plutôt, cette absence d’esprit – qui permet de chosifier tout ce qui peut fortifier l’égoïste confort moral, augmenter la puissance de caste et enrichir le compte en banque.
_ Halte-là, Monsieur, vous n’y êtes pas du tout.
_ Pourquoi ?
_ Ce que vous dites est peut-être vrai…
_ Merci bien.
_… Mais MOI, j’aime Dumas parce que ses livres sont les premiers que j’ai lus. Grâce à Dumas j’ai aimé lire et je lui en serai toujours reconnaissant !
_ Je vois que j’ai affaire à quelqu’un qui ne veut pas grandir…
_ Hum !
_ … Quelqu’un pour qui l’enfance est sacrée et qui voue un culte à tout ce qui le conforte dans cette attitude. Salut !
_ Permettez, je suis un adulte responsable !
_ Passé un certain âge, ne pas vouloir affronter la réalité c’est refuser d’entrer dans l’âge adulte, lequel, forcément, nous fait éprouver la désillusion.
_ Et si cela était ?…
_ Le mythe Dumas conforte en vous l’enfant.
_ Ma foi, je…
_ Vous avez cru au Père Noël, n’est-ce pas ?
_ Bien sûr, mais…
_ De la même façon vous croyez encore au Père Dumas.
_ M’accuseriez-vous de vouloir croire des mensonges ?
_ Dumas : excellent négrier, écrivain fantôme. Voilà la vérité. Dumas : romancier de génie, bon mulâtre et grand républicain. Voilà les mensonges, et les complications.
_ Ce sont ces complications, comme vous dites, qui l’ont conduit droit au Panthéon !
_ Dumas au Panthéon, c’est une gifle donnée à tous ceux qui y dormaient du sommeil du juste. Les purs, les authentiques. Ceux qui ont fait le sacrifice d’eux-mêmes.
_ Parce que Dumas n’a pas fait le sacrifice de lui-même ? !
_ D’abord et surtout il a fait le sacrifice d’autrui.
_ Brisons-là, Monsieur !
_ Réparons, au contraire. Réparons l’outrage fait aux écrivains authentiques. L’outrage fait à Auguste Maquet, pour n’en citer qu’un.
Auguste Maquet
AUGUSTE MAQUET OU L’ENVERS DU DECOR
C’est le poète Gérard de Nerval (1808-1855) – nègre de Dumas pour plusieurs titres – qui présenta à ce dernier le jeune Auguste Maquet (1813-1888). Coup de foudre. Dumas était la virilité débraillée, Maquet le stoïcisme fleur bleue. Deux natures extrêmes qui se sont aimantées et complétées. L’histoire de leur collaboration est la plus belle amitié des Lettres françaises. Elle touche même au sublime des histoires d’amours malheureuses. Parce qu’il devait à Dumas sa seule chance d’avoir pu percer, Maquet lui voua une reconnaissance éperdue qui lui donna la force de souffrir toujours plus l’abandon moral dans lequel l’enferra Dumas. Car ce terrible séducteur exigea tout du dévouement de son partenaire, sans jamais lui consentir la preuve du sien. De Maquet, le journaliste Albert Delpy, qui le connaissait bien, dira : « Une vie manquée, je vous le dis. Perdue par un excès de loyauté, de chevalerie, de générosité. »16
Auguste Maquet était un naïf, un poète au tempérament féminin, obsédé par l’image d’un père terrible à qui l’on doit tout pardonner. Obéissance absolue et confiance éternelle, voilà résumés les rapports de domination qui unirent les deux complices. Malgré sa candeur naturelle, Maquet savait quelles déceptions toujours renouvelées lui réservait le désinvolte Dumas. Toutefois, la fascination était bien plus grande que la déception. Par elle, Maquet éprouvait ce sentiment d’injustice qui finit par grandir un homme, s’il ne le tue pas avant.
Gérard de Nerval
Nerval, doté lui aussi d’un tempérament féminin, avait mis en garde Maquet. Mais à quoi bon ? Maquet se répétait : pourquoi médire de Dumas ? Il n’est pas seul en faute, la société l’est tellement plus, elle qui n’a aucune considération pour les faibles. Dumas, du moins, m’assure de son indéfectible amitié et me prouve qu’il me comprend, même s’il rejette mes justes revendications.
Leur correspondance prouve amplement ce jeu du chat et de la souris qui les lia. Le roi Gilgamesh était pour un tiers humain, deux tiers divin. Au monopoly de la magouille littéraire, toujours Maquet cède à cet avatar de Gilgamesh (un tiers humain, deux tiers esclavagiste). Dumas lui écrit : « Cher ami, Je vous dois, argent prêté, je crois, 240 francs en dehors de nos comptes. Avez-vous 260 francs à m’envoyer, je vous en devrai 500. A vous, A. Dumas. » (24 décembre 1845)… Ce Maquet, quel nigaud ! en vient-on à soupirer.
Auguste Maquet, jeune (lithographie)
Comme l’on dit "maîtresse en titre", Auguste Maquet fut le nègre en titre de Monseigneur Dumas. Au XIXe siècle, le nègre littéraire était à l’auteur consacré ce que la maîtresse était au riche bourgeois : une nécessité admise par la bonne société, qui s’arrangeait parfaitement de la dame en lui fermant l’accès à toute reconnaissance sociale. La littérature étant un business comme les autres, disait-on, il était naturel qu’un chef d’entreprise fasse appel à la sous-traitance. La pratique du travail délocalisé était générale et licite. On peut, bien sûr, ne pas être de cet avis. Comme le remarquait récemment le critique Pierre Lepape, « lorsqu’il fait appel à un auxiliaire, l’écrivain n’ignore pas qu’il rompt le contrat spirituel et matériel qui le lie à ses lecteurs ; et ce n’est certes pas un hasard si la tromperie affecte essentiellement, au XIXe siècle et au début du XXe, la littérature populaire. Si le père Dumas emploie, pour préparer et pour écrire ses récits historiques, des équipes de nègres chargés de dénicher des anecdotes, de résumer les chroniques et de donner de la couleur locale, c’est qu’il n’attache pas une grande valeur spirituelle aux romans qu’il publie à la chaîne. Il s’agit seulement pour lui d’amuser le bon public ; ces livres lui appartiennent à peine ; il ne les considère pas comme des œuvres d’art, mais comme le produit d’un artisanat à usage vulgaire. Les fabriques actuelles de romans à l’eau de rose ou de littérature pornographique publiés sous des noms d’auteurs fictifs procèdent exactement de la même façon et en partant d’une même conception du public. »17
Il y a donc ceux qui condamnent de telles pratiques au nom d’une éthique jugée majoritairement désuète et inutile. Et ceux qui encouragent l’imposture artistique (ainsi que toutes les autres), pardonnant à ceux qui en abusent.
En grand seigneur méchant homme qu’il était, Dumas éprouvait de l’affection pour son serviteur. Il trace ce portrait : « Maquet étant, après moi, l’homme qui travaille peut-être le plus au monde, sort peu, se montre peu, parle peu : c’est à la fois un esprit sévère et pittoresque, chez lequel l’étude des langues antiques a ajouté la science sans nuire à l’originalité. Chez lui, la volonté est suprême et tous les mouvements instinctifs de sa personne après s’être fait jour par un premier éclat rentrent presque honteux de ce qu’il croit une faiblesse indigne de l’homme dans la prison de son cœur, comme ces pauvres enfants que le maître surprend faisant l’école buissonnière et qu’il fait impitoyablement rentrer à la classe, le martinet à la main. Ce stoïcisme lui donne une espèce de raideur morale et physique qui, avec des idées exagérées de loyauté, constitue les deux seuls défauts que je lui connaisse. »18 Les « tares » de Maquet sont donc un « stoïcisme moral » et « des idées exagérées de loyauté ». En ces temps d’industrialisme à tout crin, le monstre, évidemment, c’est Auguste Maquet.
Photo montage
Voici réunis deux hommes qui s’estiment mais que tout oppose, d’abord le caractère, ensuite les intérêts. Comme tous les tyrans, Napoléon Dumas ne voulait pas qu’on lui fît ombrage. Il entendait régner seul et durablement. Aussi multiplia-t-il les nègres comme Napoléon collectionna les généraux. En décembre 1850 Maquet écrit : « Mon cher Dumas, Vous ne vous apercevez pas que vous abandonnez complètement et nos contrats et notre amitié. Ceux-là nous garantissaient contre le malheur qui peut venir de nous, celle-ci contre le malheur qui peut venir des autres. Jamais le prix de nos travaux ne m’arrive. Vous me laissez dans la gêne quand vous devriez me faire payer préférablement à tout. […] Réfléchissez combien vous gagnerez peu à me faire tout perdre, interrogez vos souvenirs, votre cœur, vos intérêts : caresse ou blessure, j’y suis toujours pour quelque chose. Auguste Maquet ». Dumas lui répond (décembre 1850) : « Pour moi toute collaboration avec un autre que vous est de l’adultère. A vous du plus profond de mon cœur. » Et le cœur tendre que fut Maquet de se persuader, une fois encore, comme le font si facilement les maîtresses délaissées, que son tourmenteur est sincère et repentant.
Malgré tant de déconvenues, Maquet continua d’aimer Dumas. Aimer Dumas, c’est donc consentir à être pris pour une poire. C’est accepter que l’on salisse ce qui fait la seule noblesse de l’art littéraire : le lien magique et unique qui associe l’auteur et son œuvre. Alors que Dumas vient de mourir, largement renié par ses contemporains, Maquet, toujours stoïque, confiera à Dumas fils, le 26 décembre 1870 : « Mon cher Alexandre, comme vous savez mieux que personne la part de travail, de talent et de dévouement que j’ai fournie à votre père dans notre collaboration immédiate où s’engloutirent pour moi fortune et renommée, sachez aussi que ma part de délicatesse et de générosité fut plus considérable encore. »19
Alexandre Dumas Fils
En fin de vie, Maquet poussera la dignité jusqu’à avouer : « Je ne chercherai jamais à diminuer ce grand écrivain, mon maître et longtemps mon ami. Je le proclame un des plus brillants esprits parmi les illustres et le meilleur peut-être parmi les hommes de bonne volonté – bonae voluntatis – j’ai dit parmi les hommes. » Mais qu’importe la bonté d’âme de Maquet. La postérité est ingrate envers le sublime.
_ La postérité n’est reconnaissante qu’envers les hommes qui la font rêver.
_ Et à ses yeux, évidemment, Maquet a le tort de s’être sacrifié.
_ Exactement. L’Histoire n’appartient qu’aux vainqueurs et Dumas est un grand homme !
_ Vous dites « grand homme » comme vous diriez "ciel bleu" ou "nuit noire".
_ Je le dis comme je le ressens.
_ Ce n’est pas un portrait, c’est un cliché.
_ Qu’importe si mon admiration s’en contente !
_ Vous admirez Dumas parce que vous le voyez de loin. Dans le détail, Dumas est un amalgame : piètre homme d’affaires, bon camarade, laborieux copiste, excellent bonimenteur, fabuleux metteur en scène de son personnage.
— C’est bien ce que je disais : c’est un grand homme.
— Permettez-moi de lui préférer son ombre. Un célèbre personnage de roman, Peter Schlemihl, a reconnu que l’ombre d’un homme vaut qu’on se batte pour elle.
— Et l’ombre de Dumas, c’est Maquet !
— Exactement.
AUGUSTE MAQUET, L’ECRIVAIN QUI NE DOIT PAS EXISTER
On connaît tous l’homme au masque de fer. On le connaît pour ne le point connaître. Maquet, lui, est "l’homme au masque de fer" de notre littérature. Avec un handicap supplémentaire : il est "l’homme au masque de fer" à la plume de fer. Une plume que la postérité, aussi impitoyable que Louis XIV, laisse emprisonnée dans l’anonymat.
Lui que son propre père rejeta dès qu’il se voulut poète, s’est infligé Dumas comme père adoptif tout-puissant. Mais ce père cachait un ogre qui le dévora. Bientôt, dans le milieu littéraire, cela se sut. Eugène de Mirecourt, voyant que le timoré Maquet n’osait soutenir publiquement que Dumas l’exploitait – lui et tant d’autres – lança en 1845 son cri d’alarme : Fabrique littéraire : Maison Alexandre Dumas et Cie. L’ouvrage suscita un scandale qui, en raison des gros intérêts mis en cause, se transforma bourgeoisement en stériles discussions de salon. Que disait Mirecourt, lequel se destinait d’abord à la prêtrise : « Oui, monsieur Dumas, oui, grand homme, vous tuez la littérature. D’abord vous envahissez toutes les tribunes qui devaient rester ouvertes à d’autres talents que le vôtre. Vous rassemblez autour de vous des écrivains sans conscience qui dépouillent la dignité de la plume, qui se cachent honteusement sous le voile de l’anonymat, et auxquels, dès lors, il importe peu de jeter au sein des masses le levain du mauvais goût, les principes corrupteurs. […] Grâce à vous et aux cuisiniers qui manœuvrent sous vos ordres, le public refuse toute nourriture saine. Il n’aime plus que les ragoûts affreusement épicés. Le faux le séduit, l’extravagance le transporte ; il chevauche en croupe avec vous sur la mule fantasque du caprice […] Aujourd’hui les bons livres passent inaperçus, le beau style est dépouillé de ses charmes, le vrai paraît fade, le naturel ennuie. Qu’on élabore un chef-d’œuvre, et l’on est sûr que la préférence sera donnée sans conteste au premier de vos feuilletons grotesques et menteurs. […] Oui, vous tuez la littérature et vous perdez les jeunes écrivains ! »20
_ Votre Mirecourt est un exalté !
_ Il est jeune, à peine trente ans.
_ Pire : c’est un idéaliste !
_ Oui, quelle malchance qu’il soit sincère.
_ Sa naïveté est un danger public.
_ Rassurez-vous, à cause de ce pamphlet, il fut condamné à passer du temps en prison.
_ Ma foi, il ne faut pas encourager les gens à dire du mal d’autrui.
_ Surtout la vérité, qui souvent fait très mal.
_ Ce Mirecourt, dites-vous, se destinait à la prêtrise ?
_ En effet.
_ Dans ce cas, il aurait dû savoir garder un secret.
_ Vous l’avez dit : un idéaliste qui ne savait pas ce qu’il faisait.
_ A coup sûr un iconoclaste comme il y en a tant de nos jours !
Auguste Maquet, qui n’était plus à une faiblesse de caractère près, ne soutint pas Mirecourt, porte-parole des sans parole. Celui-ci l’apostropha publiquement : « Allons, M. Maquet, vous, le plus fécond, le plus habile, dites donc que Le Chevalier d’Harmental est sorti de votre plume, que Sylvandire vous appartient et que Les Trois mousquetaires sont à vous. »21 Maquet se déroba, se retira même du débat et Mirecourt fut emprisonné pour « diffamation » – traduisons : pour avoir dit la vérité – et à l’insertion de la condamnation dans plusieurs journaux.
Eugène de Mirecourt
Et qui approuva le jugement ? Ce nigaud de Maquet qui n’était pas encore parvenu à suffisamment de souffrance morale pour se trouver à l’exacte place d’où s’était élevé le cri d’alarme de Mirecourt. Il avait tourné le dos au téméraire Mirecourt22 afin de ne pas perdre l’immense profit qu’il espérait encore de Dumas. Le sacrifice de Mirecourt, toutefois, ne fut pas absolument vain : grâce à lui, Dumas fut obligé de reconnaître en 1845, devant la Société des Gens de Lettres – c’est-à-dire officiellement, mais entre gens du métier –, qu’Auguste Maquet était son collaborateur attitré. Ce fut la seule réelle victoire de Maquet. Celui-ci, tellement fier que son papa d’élection le reconnaisse comme son bras droit, lui offrit par lettre, le 4 mars 1845, de « renoncer, à partir de ce jour, à tous droits de propriété et de réimpression sur les ouvrages suivants que nous avons écrits ensemble, savoir : Le Chevalier d’Harmental, Sylvandire, Les Trois mousquetaires, Vingt ans après, Le Comte de Monte-Cristo, La Guerre des femmes, La Reine Margot, Le Chevalier de Maison-Rouge, me tenant une fois pour toutes bien et dûment indemnisé par vous d’après nos conventions verbales. » Preuve que Maquet était un sentimental peu clairvoyant, doté d’un respect filial digne d’être répertorié dans quelque séminaire de psychanalyse littéraire. « Fort heureux et fort honoré d’être le collaborateur et l’ami du plus brillant des romanciers français », Maquet, par cette lettre, se condamnait à l’anonymat et, sans s’en rendre compte, venait de tourner le dos à la postérité qui le lui a bien rendu.
Plongé dans un gouffre financier dont Dumas était seul responsable, Maquet dut se résoudre en 1856 à le poursuivre pour impayés multiples, essayant même de récupérer ses droits d’auteur sur les œuvres publiées sous le nom de Dumas. C’était ne pas tenir compte que Dumas avait toujours exigé de Maquet qu’il écrivît les textes qu’il lui apportait sur son propre papier à armoiries. Et l’avocat de Dumas brandira ce papier si reconnaissable comme la preuve que tous les manuscrits étaient bien de Dumas. Personne ne fut dupe. Mais l’avocat a soutenu jusqu’au bout que Maquet fut le secrétaire de Dumas, rien de plus. Malgré une correspondance prouvant que Dumas était le copiste de Maquet et ne faisait que lui réclamer toujours plus de copie, Maquet n’obtint pas gain de cause. La Société des Gens de Lettres s’émut. Elle élut Maquet pour président et lui renouvellera sa confiance durant une douzaine d’années. Tous les vrais poètes se rassemblèrent derrière Maquet, même le grand bourgeois Matharel de Fiennes qui lui écrivit, le 28 janvier 1858 : « Mon cher M. Maquet, deux lignes pour vous dire que je viens de lire le compte rendu de votre procès et que mon témoignage peut rectifier une erreur. En 1848 – je ne puis pas préciser la date – Le Siècle publiait Le Vicomte de Bragelonne. Perrée [le directeur-gérant] était absent et je le remplaçais. On m’avertit à six heures du soir que le feuilleton qu’on était allé chercher à Saint-Germain, chez Alexandre Dumas, était perdu. Il fallait au Siècle son feuilleton, le feuilleton est dans sa charte. Les deux auteurs m’étaient connus, l’un habitait à Saint-Germain, l’autre à Paris. J’allai trouver celui qui était le plus facile à joindre. Vous alliez vous mettre à table. Vous eûtes la bonté de laisser là votre dîner et vous vîntes vous installer dans le cabinet de la direction. Je vous vois encore à l’œuvre. Vous écriviez entre une tasse de bouillon et un verre de vin de Bordeaux que vous teniez de la munificence du Siècle. De sept heures à minuit, les feuillets se succédèrent, je les passais de quart d’heure en quart d’heure aux compositeurs. A une heure du matin, le journal était tiré avec son Bragelonne. Le lendemain, on m’apporta le feuilleton de Saint-Germain qui avait été retrouvé sur la route. Entre le texte Maquet et le texte Dumas il y avait une trentaine de mots qui n’étaient pas absolument les mêmes, sur 500 lignes qui composaient le feuilleton. Voilà la vérité. Faites de cette déclaration ce que vous voudrez. Mes souvenirs pouvaient être taxés d’inexactitude. J’ai fait constater les faits par le gérant du journal, par le chef de la composition et par le correcteur. »23
Maquet ne parvint jamais à se faire entendre durant les deux procès qui l’opposèrent à son mentor. Il mettait en avant le droit d’auteur en un siècle où n’étaient reconnus et protégés que les droits des créanciers et des héritiers. Débouté de ses prétentions d’auteur, Maquet fut ravalé au rang de simple créancier.
_ Que réclamait exactement Maquet ?
_ La reconnaissance par Dumas qu’il était son collaborateur pour les différents chefs-d’œuvre que Dumas avait signés seul.
_ Il voulait juste que son nom soit accolé à celui de Dumas ?
_ C’était sa seule exigence. Mais on la lui refusa, parce que l’esprit de son temps était esclavagiste.
_ Hum…
_ Durant l’interrogatoire de son procès Maquet déclara : « Le nom de Maquet sur une couverture de livre auprès du nom de Dumas eût été un des plus beaux triomphes de Dumas – celui de son honnêteté – après tant de triomphes de son talent, uni au mien. »
_ Et cette remarque vous émeut.
_ Oui.
_ On dirait que vous êtes plus contrarié qu’ému.
_ C’est possible.
_ Allons… Qu’est-ce qui vous chagrine tant ?
_ Qu’un siècle plus tard la postérité lui refuse toujours ce droit.
C’est en vain que son avocat, Me Marie, défendit « ce droit sacré pour tout écrivain de mettre son nom au bas de ses œuvres, droit individuel, droit personnel qui, dans notre pensée, ne peut se prescrire ni se vendre ; s’acheter ! bien moins encore : droit intime, en un mot, qui ne peut pas plus s’abdiquer que ne pourrait s’abdiquer la personnalité elle-même, d’où elle émane. […] Quelque absolue que soit la formule de la vente, le nom reste toujours en dehors de la vente. »24
Auguste Maquet fut contraint d’accepter la somme de 145 200 francs payables en onze ans, somme qu’il ne touchera pas mais qui lui fit perdre à jamais le droit d’associer son nom à celui de cet « Hercule de la fécondité, Bamboula de la gloire, Michel-Ange du débraillé. » (Jules Vallès).
_ Prenez les choses par leur bon côté. Aujourd’hui Maquet gagnerait son procès.
_ Espérons-le.
_ Vous voyez que tout finit par s’arranger.
_ Si vous le dites.
_ Et je l’affirme ! Car depuis 1984 la jurisprudence reconnaît le droit aux nègres littéraires de voir leur nom inscrit à l’intérieur du livre qu’ils ont écrit pour quelqu’un d’autre. Ce n’est pas une belle victoire, cela ?
_ Oui, ils peuvent être heureux, on les appelle maintenant des « métis ».
Alexandre Dumas, par Maurice Nadar
DE LA DÉMAGOGIE À LA « DUMAGOGIE »
Après l’amertume de deux procès, il ne restait plus à Maquet qu’à sauver ce qui pouvait l’être de son honneur d’écrivain. Il releva le défi de se faire un nom – tout seul. Libéré de ses engagements envers son « patron », il décida de remplir avec ses seules forces les vides laissés entre les divers romans écrits pour Dumas. « Si Dumas eût voulu suivre mon conseil et réduire d’un grand tiers tous nos ouvrages, j’en citerais dix excellents au lieu de quatre ou cinq » confessa Maquet25. L’on ne trouvera jamais une telle réflexion chez Alexandre Dumas. Le Comte de Lavernie, La Belle Gabrielle, La Maison du Baigneur, quel dumasien aura l’affront de dire que ce ne sont pas là des romans de Dumas ? « Maquet les a écrits et signés seul, et rien ne marque mieux la parenté étroite de style et d’imagination entre les œuvres anciennes et les œuvres nouvelles, avec cette différence cependant que l’action est conduite d’une façon plus rapide. C’était, d’ailleurs, l’éternel objet de controverse entre Dumas et Maquet au sujet du nombre inusité de volumes. Marquet était le partisan résolu des romans plus resserrés, mais Dumas voulait, il n’y avait qu’à s’incliner. » (Gustave Simon)26
Lire la correspondance "Dumaquet" est un exercice salutaire. Dumas n’arrête pas d’exiger ou de supplier Maquet de lui donner de la copie. Il en a besoin comme un drogué de sa dose quotidienne : « Pouvez-vous, ce soir, par le dernier courrier, m’en envoyer une certaine quantité ? »27 « Passez la nuit, s’il le faut, mais envoyez-moi une manne de copie. »28 « Voilà deux jours que vous me laissez sans copie, et voilà par conséquent deux jours que vous faites de moi l’homme le plus malheureux de la terre. »29 « Vous m’avez envoyé du Maison-Rouge à merveille, d’autant plus que la scène est superbe. Dites-moi en deux mots où elle nous mènera. »30 « J’attends ! j’attends ! j’attends ! »31 Dumas a besoin de Maquet. Laissé seul il n’avance pas. Bernard Fillaire fait cette pertinente remarque : « Dumas voulait accéder au génie sans passer par la solitude »32 Et d’argumenter : « Vous croyez qu’un écrivain vit ? Non, il écrit. Il est maintenu artificiellement en vie par son stylo qui enregistre ses battements de cœur…Il reste toute sa vie à son chevet. Comme Dumas aimait vivre ! »33
Oui, comme Dumas aimait vivre, et plusieurs existences. Le seul roman qu’il ait jamais écrit, de la première ligne à la dernière, c’est sa vie foisonnante et incohérente à force de détours. Mais où a-t-on vu qu’un écrivain était grand pour avoir fait un bruit retentissant ? Au bruyant Dumas préférons le silencieux Maquet.
Non seulement Dumas est ce virus pantagruélique qui à lui seul a bien failli exterminer la fragile race des poètes sans autre ressource qu’eux-mêmes, mais il est ce prodigieux hybride, mi copiste mi plagiaire, qui n’aura jamais pu prouver qu’il était un créateur, au sens noble de ce terme. Comme son descendant Willy, célèbre vautour34 littéraire aux 60 plumes – dont celle de son épouse Gabrielle Colette – Dumas, dans le seul but de grossir les manuscrits et de gagner toujours plus d’argent, s’offre à bon compte du « génie » en imbriquant les textes d’autrui, copiant-collant des descriptions prises un peu partout, et en tirant à la ligne d’interminables dialogues. Colette a dit de Willy (qu’elle a fini par détester) : « Entre le désir, le besoin de produire une denrée imprimée et la possibilité d’écrire s’élève, chez cet auteur étrange, un obstacle dont je n’ai jamais distingué la forme, la nature, peut-être terrifiante. »35 Il en fut certainement de même pour Dumas qui a mis toute son énergie à pallier en lui le manque de création spontanée par une technique de démarquage acquise durant ses années d’apprentissage comme bibliothécaire de la Bibliothèque royale de son mécène Louis-Philippe. Il y a fort à parier aussi que Dumas avait autant besoin de Maquet pour ne pas perdre la face devant ses amis écrivains, qu’il avait besoin de nègres occasionnels pour ne pas perdre la face devant Maquet. Bien souvent Maquet put espérer et même croire que Dumas était l’auteur de ce que lui-même n’avait pas écrit… pour découvrir, incidemment, que ces pages supplémentaires provenaient d’autres plumes, souvent difficilement identifiables (par exemple, dans Monte-Cristo que Maquet écrivit pour Dumas, une section semble être due à un certain Fiorentino, ce qu’a admis Maquet).
Les dumasiens déclarent : Dumas a toujours réclamé des pages à Maquet afin d’en faire une grande œuvre !
Bernard Fillaire rétorque : « Les missives envoyées par Dumas, lui donnant des instructions ou lui réclamant des pages, ne prouvent pas, comme une lecture rapide le donnerait à penser, son acharnement au travail, mais au contraire son refus d’écrire. Dumas ne faisait que recopier. »36
Les dumasiens clament : Dumas transforme le texte de Maquet. Quatre-vingts pages de Maquet font à peine dix-sept pages de Dumas !
Gustave Simon leur a répondu, voilà près de cent ans : « La vérité, c’est qu’Alexandre Dumas avait une écriture très fine, serrait les mots ; Maquet, au contraire, avait une écriture assez large, ses mots étaient espacés : d’où la différence d’évaluation du nombre de pages. »37
Les dumasiens affirment : Dumas n’avait pas besoin de Maquet, il lui était seulement utile !
Gustave Simon réplique : « Dumas le dit nettement : il ne peut travailler que quand il a la copie de Maquet, sinon il est désorienté, désarçonné, incapable de poursuivre. Il le confesse de fort bonne grâce et avec une parfaite simplicité, car parfois il ne sait où Maquet veut le conduire. »38
Les dumasiens disent : Dumas est pareil à un grand peintre de la Renaissance qui utilise ses élèves pour préparer la toile !
Eugène de Miricourt leur a par avance répondu : « Les grands maîtres en peinture n’ont jamais exercé leurs élèves en vue de la production, mais en vue de l’étude. […] Les maîtres, dont on allègue ici les traditions d’atelier, donnaient le génie à leurs élèves en échange de quelques coups de brosse ou de ciseau, qui servaient à dégrossir une œuvre ; M. Dumas ne donne qu’un peu d’or en échange d’une âme qu’il absorbe tout entière. Ses collaborateurs sont les Raphaël ; le copiste, le dégrossisseur (forgeons le mot), c’est lui. »39
Lorsqu’on se donne la peine (la lucidité est toujours douloureuse) de connaître Dumas dans son intimité, les rapports entre Dumas et la littérature – la vraie : sincère et modeste – se résument à ce qu’un personnage d’Antony (1831) dit de celle qu’il aimait si mal : « Elle me résistait. Je l’ai assassinée. »
La tombe d’Auguste Maquet au Père-Lachaise
GLOIRE MAL ACQUISE PROFITE TOUJOURS
Il en est des adages comme des hommes, il faut s’en accommoder. Sur la suggestion de la Société des Amis de Dumas, et après acception de Jacques Chirac alors Président de la République, Alexandre Dumas est entré au panthéon le jeudi 21 novembre 2002. Un irrésistible désir national, nous a-t-on dit. Le samedi 30 novembre, dans son discours devant le Sénat, l’écrivain Claude Ribbe déclare : « Dumas essuya, avec la dignité propre aux êtres d’exception, les plus sottes offenses. » Ainsi, Dumas, toi que tes contemporains accusaient en connaissance de cause d’être un « exploiteur » et un « escroc », te voilà devenu presque un saint, que dis-je ? tu l’es déjà. Comment as-tu pu souffrir que ceux qui savaient si bien qui tu étais aient pu émettre ne serait-ce que le plus petit doute sur ta noble nature, sur ta chevaleresque âme de bon Samaritain, sur ton aptitude innée à être humble, sincère et d’une si exquise délicatesse (sans parler de ta générosité) ?
Quand Eugène de Mirecourt, l’auteur de Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie (1845) qui se sentait investi d’une mission d’assainissement moral en dévoilant les pratiques mercantiles de Dumas, reproche au grand « Marquis » ses allures de « Nègre », nous autres Modernes l’accusons de propos racistes pour récuser les preuves qu’il apporte des agissements de Dumas. Or, le racisme étant une des modalités regrettables de l’esprit du temps, Mirecourt ne se montre pas plus raciste que ses contemporains ou que Dumas lui-même, ainsi que le constate sur le site Africultures Sylvie Chalaye, professeur à la Sorbonne : « Dans ses Mémoires, comme le souligne Claude Schopp, Dumas préfère se souvenir de ses ascendances aristocratiques, aussi illégitimes soient-elles. […] Quand Dumas évoquera la situation des colonies dans Georges en 1843, il évite les Antilles de ses origines et situe son histoire à l’île Maurice. On lui reprochera de ne pas avoir fait un roman anti-esclavagiste. Son roman au contraire expose la réalité des plantations avec tout son cynisme. Et la force du récit de Dumas, c’est de ne pas avoir fait des mulâtres les héros de la libération des esclaves contre les méchants colons. Non, esclavagistes, les mulâtres le sont comme les autres planteurs, ils sont lâches et raisonnables, ils sauvent leur peau. Pas d’idéalisme aux colonies ! " C’était une industrie parfaitement légale ", écrit Dumas "quant à la validité du droit que l’homme s’est arrogé de trafiquer de son semblable, cela ne le regardait aucunement". Son personnage, Jacques Munier, Dumas le définit comme "un bon négociant faisant son commerce en conscience" et ayant pour ses esclaves "presque autant de soins que si c’étaient des sacs de sucre". »40
Occultant la réalité sur Dumas, on le pare de toutes les vertus républicaines et on fait de lui le représentant des Noirs de France, le lauréat posthume de la France multi-raciale. « L’heure n’est-elle pas venue de jeter bas les masques ? L’heure de dire la vérité à qui voudra bien l’entendre ? Quelle vérité ? Eh bien, tout simplement, que les Dumas étaient originaires d’Afrique et que la France en est fière. » Voilà ce qui, à l’occasion de cette panthéonisation, fut dit au Sénat41, ce samedi 30 novembre 2002.
Parce qu’elle était raciste, la société française du XIXe siècle aurait été méchante, injuste envers Dumas, fils d’une esclave haïtienne d’ascendance africaine et d’un Créole promu général ? Soit ! Mais ne mettre aujourd’hui en lumière que sa couleur de peau est précisément ce que faisaient les contemporains de Dumas, que sa « négritude » exaspérait presque autant que son sens de l’asservissement moral. N’est-ce pas regarder l’Histoire avec le petit bout de la lorgnette que de ne vouloir retenir de quelqu’un que sa couleur de peau, et de tout juger par le défaut (ou la vertu) de celle-ci ? Est-il pertinent de ramener toutes les impostures et les embrouilles de Dumas au racisme ? Dumas lui-même était conscient de ce réflexe : « Lorsque j’ai découvert que j’étais noir, je me suis déterminé à ce que l’homme voie en-dessous de ma peau », a-t-il écrit quelque part. C’est ce que nous faisons ici : voir Dumas « en-dessous » de la peau.
_ Rhétorique que tout cela !
_ Vous revoilà !
_ En personne !
_ Où voyez-vous de la rhétorique dans mes propos ?
_ Les contemporains de Dumas étaient des racistes, vous l’avez vous-même reconnu. Nous, nous ne le sommes plus...
_ D’où vous concluez …?
_ Que ne pas aimer Dumas…
_ … c’est être raciste !
_ A peu de chose près.
_ Ce n’est pas la couleur de peau de Dumas que je n’aime pas, ce sont ses agissements.
_ Vous lui prêtez des sentiments qu’il n’a jamais eus. C’était un homme courageux, un républicain de la première heure ! Comptez-vous cela pour rien ?
_ Pas pour rien. Pour une pose opportune.
_ Nierez-vous que Dumas est, malgré ses défauts, un grand homme ?
_ J’ai quelques doutes, en effet.
_ Tant pis pour vous.
_ Votre « républicain de la première heure » commença par être l’obligé du duc d’Orléans, futur Louis-Philippe « roi des Français ».
_ Et alors ?
_ Alors il changea aussi souvent de politique que la Politique changeait elle-même.
_ Au moins reconnaissez qu’il fut un grand romantique.
_ Ce n’est pas une preuve de probité morale que d’être un grand romantique.
_ Une chose est sûre : il fut un proche de Hugo.
_ Vous oubliez qu’ils sont restés fâchés longtemps.
_ Ils se sont réconciliés. Hugo fut l’ami de Dumas.
_ Hugo fut l’ami du genre humain…
_ Nul n’est parfait à vos yeux !
_ … Et vous ne tenez pas compte, non plus, que deux jeunes hommes qui ont fait ensemble leurs frasques et qui ont jeté leur gourme politique, sont nécessairement enclins à se pardonner beaucoup de choses.
_ Vous prêtez à Dumas des sentiments qu’il n’a jamais eus, dis-je !
_ Vous le dites et vous en persuadez.
_ Comme tous les Français.
_ Aussi il est temps que vous lisiez cette lettre.
_ Une lettre ? Quelle lettre ?
_ Celle-ci.
_ De qui ?
_ D’Alexandre Dumas.
_ Destinée à qui ?
_ Au poète national Béranger. Vous ne me demandez pas pourquoi il lui écrit ?
_ Si, je vous le demande.
_ Béranger commençait à voir Dumas tel qu’il était derrière son air d’Othello outragé qu’on l’accuse d’être un Iago42.
_ Qui c’est, ce Béranger ?
_ Le poète Béranger (1780-1857) était considéré comme la référence morale de la France. Goethe disait qu’il était « le génie bienfaisant du siècle » ; Sainte-Beuve : « C’est un poète de pure race, magnifique et inespéré ».
_ Admettons.
_ Jamais Dumas n’a été autant lui-même que dans cette lettre où il tourne en ridicule la naïveté de Béranger et, au-delà, la candeur de la postérité toujours prête à croire aux contes de fées.
_ Je dois la lire maintenant ?
_ Je vous en prie…
« Comment vous – l’intelligence supérieure par excellence – vous avez cru à ce conte populaire accrédité par quelques-uns de ces misérables qui essayent toujours de mordre les talons qui ont des ailes ? Vous avez pu croire que je tenais fabrique de romans ; que j’avais, comme vous le dites, des mineurs pour me préparer mon minerai ? Cher père, mon seul minerai, c’est ma main gauche qui tient le livre ouvert, tandis que la droite travaille – douze heures par jour. Mon minerai, c’est la volonté d’exécuter ce qu’aucun homme n’avait entrepris avant moi. Mon minerai, c’est l’orgueil – ou la vanité, comme vous voudrez – de faire à moi seul autant que font mes confrères les romanciers à eux tous – et de faire mieux.
Vous connaissez les hommes, mon très cher père, et, les connaissant, vous devez savoir que la discrétion n’est pas leur vertu principale, lorsque cette discrétion devient du dévouement. Or, croyez-vous qu’il existe de par le monde des hommes assez dévoués et discrets pour avoir fait d’Harmental, les Mousquetaires, Vingt ans après et Monte-Cristo et pour laisser l’honneur et le profit à un autre ? Non, croyez bien que le jour où je mettrais mon nom à une chose qui ne serait pas de moi, je serais à la merci de l’homme à qui j’aurais ainsi soustrait sa part de bénéfice et de gloire. Je suis seul, et je ne dicte même pas. J’écris tout de ma main […].
Pardon de l’espèce de vanité que vous croirez peut-être reconnaître dans ces lignes ; mais il est certains hommes aux yeux desquels je tiens à paraître ce que je suis et, certes, vous êtes des premiers parmi ces hommes-là. […] »43
Voilà l’homme que l’on a installé au Panthéon. Voilà l’homme que l’on recommande à notre admiration. Qui bafoue l’honneur, la vérité, l’amitié et pervertit jusqu’au sens des mots. Un homme qui commence par flatter son correspondant, puis lui ment en affirmant que n’existent chez les écrivains ni loyauté ni dévouement. Dumas s’adresse à un candide, alors il en profite pour étaler ses artifices de rhétorique. Mais quoi qu’il puisse prétendre, il existe un auteur du Chevalier d’Harmental, des Trois mousquetaires, de Vingt ans après, du Comte de Monte-Cristo, un auteur « dévoué » et « discret » : il a pour nom Auguste Maquet.
Dumas ou le déshonneur et la lâcheté. Dumas ou l’indignité civile. Faut-il que nous soyons tous les descendants directs des petits-bourgeois esclavagistes (au sens large) pour que nous n’osions faire le procès de Dumas et exiger la réhabilitation posthume d’Auguste Maquet.
QUAND OTHELLO CACHE EN LUI IAGO
Alexandre Dumas est entré au Panthéon parce qu’il est aujourd’hui considéré comme le représentant des Noirs de France et parce qu’il est jugé, selon les lois du Café du commerce, « bon républicain », lui qui dut son lancement au duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, dont il fut longtemps le bouffon. Parfait républicain, Dumas ? Lui qui a toujours exprimé le regret de ne pas se nommer de la Pailleterie. Parfait républicain, Dumas ? Lui qui porta successivement la casquette royaliste, bonapartiste… et républicaine, parce qu’il faut bien faire une fin.
Sa couleur de peau et sa casquette politique sont donc les preuves suffisantes qu’il est bien l’auteur des 91 pièces de théâtre, des 22 volumes de mémoires et des 300 romans qu’il a signés. Plus que des preuves, ce sont des évidences. Et il faut vraiment avoir triste figure pour chercher querelle à cet illustre personnage dont la France s’honore.
« Alexandre Dumas, c’est la vie même, son tourbillon, c’est la force d’un sang ardent, d’une nature exubérante, c’est la chaleur communicative du bonheur » proclama le président du Sénat44, ce samedi 30 novembre 2002.
Aimer Dumas, c’est donc aimer la vie. Qui serait assez chagrin pour ne point l’aimer ? Mais a-t-on seulement écouté les femmes que Dumas a méprisées, ravalées, trahies, abandonnées pour satisfaire son seul égoïsme ? Elles sont nombreuses (mais il est vrai qu’aimer Dumas c’est, nécessairement, n’être pas féministe). A-t-on écouté les hommes d’affaires qu’il a escroqués, trahis ou ruinés et qui l’ont fait plusieurs fois fuir la France ? (mais il est vrai qu’aimer Dumas, c’est admettre qu’avoir un « nom » justifie tout). S’est-on donné la peine d’écouter les artistes qu’il a volés, occultés, mystifiés ? (mais quand on aime Dumas, se préoccupe-t-on de ceux qui n’ont à faire valoir qu’eux-mêmes et leur dévouement ?)
La postérité a-t-elle un jour demandé des comptes à Dumas ? Jamais. Lui a-t-elle fait le moindre reproche ? Surtout pas. A-t-on ajouté un bémol à la symphonie des louanges qu’on entonne aujourd’hui ? A l’exception de celui de l’écrivain Bernard Fillaire45, je n’en connais pas.
A Dumas toutes les roses, à ses collaborateurs toutes les épines. Les dumasolâtres, qui sont gens charmants, ont même eu la bonté de jeter Auguste Maquet aux orties. Ont-ils quelque chose à lui reprocher ? Rien, sinon d’avoir essayé de faire reconnaître ses droits. Le malheureux et mauvais citoyen qui a nui (faiblement, rassurons-nous) à la gloire nationale de Dumas ! Comment le jaloux Maquet, d’une nature si médiocre, a-t-il pu avoir l’honneur de fréquenter sa Majesté Dumas ? Ah ! remercions Sardanapale Dumas pour avoir, par sa magnanimité et sa générosité équatoriale, permis au chafouin Maquet d’écrire la quasi-totalité des chefs-d’œuvre que lui, Dumas, par surcroît d’altruisme, a consenti à signer.
Méchant Auguste Maquet à cause duquel l’inépuisable Dumas n’a plus rien écrit qui vaille après sa séparation d’avec lui. Retirer à Dumas toute inspiration, vraiment, on ne peut pas être plus ingrat qu’Auguste Maquet ! Faut-il que cet homme érudit (circonstance aggravante), ait eu une terrible influence sur l’abuseur des pages vierges pour le laisser ainsi désemparé et incapable d’accoucher d’une souris, lui qui était un Olympe de l’imagination.
Quant nous pensons à Dumas/Maquet, nous sommes victimes du syndrome hugolien : nous ne pensons que par antithèse. Dumas, c’est l’aigle sur les cimes. Maquet, c’est le rat de bibliothèque. A Dumas, l’inspiration divine, à Maquet les brouillons et les ratures. L’un est un océan, l’autre la frêle barque. Sans Dumas, qu’est-ce que Maquet ? Rien. Sans Maquet, qu’est-ce que Dumas ? Tout.
Quel dommage que la République n’ait pas fait davantage son profit des bienfaits de la Révolution ! Elle continue de vénérer un grand seigneur méchant homme au lieu d’avoir de la commisération pour celui qui l’a si fidèlement servi.
Mais en République, presque autant que sous la royauté, le nom fait tout. Pour elle, l’Histoire c’est du cinéma… où seul apparaît le visage de la star et tombe au oubliettes le nom du scénariste. La postérité ne veut voir que la star Dumas et se moque bien du génie scénaristique d’Auguste Maquet.
_ Maquet ! Maquet ! vous n’avez que ce nom à la bouche. Mais à la fin qu’est-ce donc que ce Maquet ?
_ Très peu de chose, sans doute, puisque son nom est inconnu des Français.
_ Ah ! vous voyez bien.
_ Voulez-vous les meilleures preuves de son insignifiance ?
_ Volontiers.
_ Maquet est l’auteur de Vingt ans après, du Comte de Monte-Cristo, de La Reine Margot, du Chevalier de Maison-Rouge, de Joseph Balsamo, de La Dame de Monsoreau, du Chevalier d’Harmental, de La Tulipe noire, du Vicomte de Bragelonne et de « la plus grande part » (Dumas dixit) des Trois mousquetaires.
_ Très drôle.
_ Désolé, je n’ai pas le cœur à rire.
ALEXANDRE DUMAS OU ON NE PRÊTE QU’AUX RICHES
Les contemporains d’Auguste Maquet ne lui ont jamais pardonné 1) d’avoir été le nègre attitré de Dumas. 2) d’avoir dévoilé les coulisses d’un théâtre de dupes. Pour les hommes d’affaires c’était un parjure, pour les écrivains authentiques et nécessairement idéalistes, c’était un traître. Voici ce qu’écrit le jeune Charles Monselet en 1857 : « Voici un homme qui n’a pas eu le courage des luttes littéraires, des travaux opiniâtres, des résultats lents ; qui a eu peur du grenier et peur de l’hôpital ; qui après quelques années de souffrances s’est mis à dire : assez ! et n’a pas voulu aller jusqu’au bout ; qui, nouvel Essaü, a vendu son droit de glorieuse aînesse pour un plat de lentilles d’or ; voici M. Auguste Maquet. Que cet homme est bien l’image de notre siècle horrible et harcelé ! Il est ou plutôt il a été longtemps le représentant de la littérature mercantile, de la littérature sans utilité et sans beauté, de cette littérature qui est à l’art ce que la rinçure d’un tonneau est au vin passionné qui gronde et soupire dans un flacon. Que de fois je l’ai plaint, cet homme, et que je le plains encore ! La critique, même la plus féroce, pouvait s’attaquer à lui, et lui n’avait pas le droit de répondre à la critique ; elle pouvait le battre et lui ne pouvait pas se regimber, car s’il se regimbait, voici ce qu’elle lui disait, la brutale : « — Tu es semblable au remplaçant militaire ; tu trafiques de ton intelligence comme le remplaçant trafique de son corps. Tu n’as pas d’excuse, du moins d’excuse littéraire : à qui persuaderas-tu que tu cours après la renommée et que tu cultives les lettres ? Baisse la tête et retaille ta plume, manœuvre ; et si quelque pauvre écrivain sérieux, amaigri et vêtu d’un habit mélancolique vient à passer sous ta fenêtre, salue-le bien bas, entends-tu, car il vaut mieux que toi. »46
Bien que Monselet n’ait pas tort, Maquet ne méritait pas un tel opprobre, même s’il est vrai qu’il fut le prototype du « nègre littéraire ». Le journaliste Charles Bigot résuma, à sa mort, le destin de Maquet : « Dans toute collaboration, comme dans toutes les associations de ce monde, l’un des deux se fait toujours la part du lion ; c’est toujours l’histoire des deux collégiens en possession d’un seul cigare : "Moi je fumerai, et toi tu cracheras !" Dumas était celui qui fumait le cigare. »47
Puisque nous avons cité une lettre de Dumas, citons une ligne du testament de Maquet… à propos de Dumas : « m’ayant indignement, par une faillite, frustré des fruits de ce travail, il a, en outre, tenté de s’en approprier l’honneur… » Tout est dit en quelques mots mesurés qui montrent le degré de dignité de cet artiste spolié de sa seule raison d’être : pouvoir se dire l’auteur des œuvres nées de son travail, aussi discret soit-il.
Mais les nègres littéraires, on le sait, n’ont pas de nom. Ils n’ont pas même droit à l’existence. Ils ne sont là que pour faire marcher la grande entreprise libérale de l’Homme qui portent un « nom ». La France au grand cœur n’a pas assez d’oreilles pour entendre la plainte de ceux qui n’ont pas voix au chapitre. « Combien sont rares les créateurs de mythes populaires, les inventeurs d’histoires lues par des centaines de millions de personnes, génération après génération, et les auteurs de personnages qui deviennent, malgré les libertés prises avec l’histoire, des symboles nationaux et des emblèmes dotés de plus de vérité que d’authenticité historique ? » témoigna le président du Sénat49, ce samedi 30 novembre 2002, alors qu’on venait de transporter les cendres de Dumas dans une bâtisse qui, aux yeux des dumasolâtres, risquait de n’être pas assez grande pour lui.
Un académicien déclara : « De 1842 à 1848, tu sembles dépasser tes propres limites : tu publies dix-neuf titres, la plupart en plusieurs volumes et parmi eux Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, Bragelonne, La Reine Margot, Le Comte de Monte-Cristo, La Dame de Monsoreau, Joseph Balsamo. En six ans seulement ! Bien sûr, comme pour les peintres de la Renaissance, il faut que l’on prépare tes fresques – et il est juste que Auguste Maquet soit nommé ici ce soir – mais à la fin celui qui tient la plume, c’est toi. »50
Eh oui, c’est signé Dumas. Tout est dit. La signature tient lieu de preuve dans la République des affaires. Inclinons-nous.
« La République, aujourd’hui, ne se contente pas de rendre les honneurs au génie d’Alexandre Dumas. Elle répare une injustice. Cette injustice qui a marqué Dumas dès l’enfance, comme elle marquait déjà au fer la peau de ses ancêtres esclaves. […] Certains de ses contemporains iront même jusqu’à lui contester la paternité d’une œuvre étourdissante et son inépuisable fécondité littéraire qui tient du prodige » s’offusque Jacques Chirac, alors Président de la République.
Méchants contemporains qui doutèrent de Dumas ; lucides hommes du XXIe siècle qui savent reconnaître le blé de l’ivraie, et rendre à César Dumas ce que certains esprits consciencieux voudraient rendre à Auguste Maquet. Jusques à quand la France va-t-elle accepter cette blessante injustice pour tous les nègres littéraires ?48 Va-t-on, par convenance bourgeoise, toujours accabler les talentueux afin de mieux encenser les imposteurs ?
Alexandre Dumas, tel qu’en lui-même
Le politiquement correct a élu Dumas. Il faut donc tourner le dos à Auguste Maquet. Le politiquement correct impose Dumas, il faut donc mépriser tout ce qui gêne. Dumas a-t-il été politiquement incertain ? Qu’importe ! « Ami des Orléans mais républicain, conservateur mais révolutionnaire, Dumas incarne la France dans ses contradictions les plus intimes. C’est aussi pour cela que les Français l’aiment tant » proclame M. Jacques Chirac. Sous la plume du président de la Société des Amis de Dumas nous apprenons qu’« alors que la France a d’emblée reconnu Victor Hugo comme un génie en lui accordant les funérailles nationales et l’entrée au Panthéon, elle a fait preuve d’une légère condescendance à l’égard d’Alexandre Dumas, mort en décembre 1870 dans l’indigence et la quasi indifférence. »51 Il était donc urgent de réparer une injustice si flagrante. Et le panthéon, ce jeudi 21 novembre 2002, parut construit uniquement pour abriter la « dumagogie » des Français du XXIe siècle. « Car ce ne sont pas seulement les mythes éternels des Mousquetaires et de Monte-Cristo qui sont ainsi consacrés comme des chapitres essentiels de notre roman national. C’est aussi l’écrivain républicain, farouchement engagé du côté de la réforme sociale, des barricades des Trois Glorieuses aux chemises rouges de Garibaldi, que Jacques Chirac convie au Panthéon. C’est également l’Européen, infatigable voyageur jusqu’au Caucase des Tchétchènes, curieux du monde et de sa bigarrure. C’est, enfin et surtout, le mulâtre victime du racisme, le descendant d’esclave, le témoin de la traite négrière, bref le symbole même du métissage de la France qui, avec Alexandre Dumas, est reconnu à la place qui devait être la sienne : au cœur de notre identité nationale. […] Dumas le symbole des identités plurielles et mêlées… » pouvait-on lire dans Le Monde du 1er décembre 2002.
Le Livre d’or de l’Entrée au Panthéon de l’imposant personnage, mis à la disposition du public, témoigne du consensus :
« Alexandre Dumas au Panthéon ? Ce n’est pas seulement une excellente idée, c’est tout bonnement une évidence ! Quel auteur a créé autant de personnages inoubliables ? Qui a plus œuvré pour la propagation de la littérature française dans le monde ? Qui a davantage enchanté, Jules Verne excepté, des générations et des générations de jeunes lecteurs ? Dumas, bien sûr ! La France entière, nostalgique de son enfance et des bons moments qu’il lui a fait passer, devrait se presser au Panthéon pour dire d’une seule voix : « Entre ici, Alexandre Dumas » !52
« Alexandre Dumas, pour moi, c’est tout ce qu’un auteur doit être. »53
On peut conclure de tout cela que le chef-d’œuvre de Dumas, ce sont ses lecteurs.
Dans ces conditions, nous avons à dire pour notre défense que, comme avant nous Gustave Simon, nous avons seulement voulu « rendre à Maquet la justice qui lui est due, le mettre à son véritable rang, en dépit des crédules thuriféraires de Dumas, en dépit de la casuistique judiciaire du temps passé, en dépit des nuages qu’on a amoncelés pour obscurcir ou dénaturer une collaboration dont l’authenticité s’appuie sur les déclarations, les lettres de Dumas lui-même et sur les manuscrits de Maquet. »54
Gustave Simon avait reconnu avoir écrit Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet (1919) pour obéir « à un devoir de conscience et à un sentiment d’équité ». Avec cet article, il en est de même pour nous.
NOTES ET REFERENCES
« Le propre de l’écrivain c’est l’individualité ;
où l’individualité s’efface, l’écrivain disparaît.
Donc, M. Dumas n’est pas un écrivain. »
Eugène de Mirecourt
Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie, 1845.
1- Evelyn Beatrice Hall, The Friends of Voltaire, 1906.
2- Cf. sur ce site « L’Evolution de la musique classique : continuité et fracture », de Denis Boissier.
3- Les journaux « Le Mousquetaire » et « Le Dartagnan ».
4- Article Dumas, in Encyclopédia Universalis, éd. 1974, vol. 5, p. 834.
5- Dans le Dictionnaire des littératures de langue française, 1984, T. 1, pp. 687 et 688.
6- Louis de Loémie, Galerie des contemporains illustres par un homme de rien, 1842, 2ème édition 1848 : p. 61.
7- Eugène de Mirecourt, Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie, 1845, pp. 8 et 36.
8- Louis de Loémie, La Galerie des contemporains illustres par un homme de rien, 1842, 2ème édition 1848 : p. I.
9- Eugène de Mirecourt, Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie, 1845, p. 20. Sur les méthodes diverses de Dumas, Mirecourt raconte : « D’un livre intitulé le Chevalier d’Harmental (auteur, M. Auguste Maquet), notre héros tire un épisode dont il fait la pièce reçue à la Comédie-Française, Une conspiration sous le Régent (auteur, M. Brunswick). La mine était raisonnablement exploitée, Dieu merci ; mais tout à coup M. Dumas avise qu’un livre, déjà métamorphosé en pièce, peut, d’un seul coup de baguette, reprendre sa forme première, et nous assistons à la naissance de la Fille du Régent (auteur, M. Couailhac). » (p. 58).
10- Dans le Dictionnaire des littératures de langue française, 1984, T. I, p. 688.
11- Idem, p. 688.
12- Préface à la pièce Le Fils naturel, 1858.
13- Michel Cazenave, Alexandre Dumas, le château des Folies, 2002. Cf. chapitre 2, intitulé « Le surhomme littéraire », et ces phrases : « Car, c’est un surhomme littéraire qu’Alexandre Dumas. Un protée de la plume. Un Atlas du volume. », p. 47.
14- Lettre à Alexandre Dumas fils, 15 avril 1872. Publiée aussi dans Le Rappel, n° 782, le 17 avril 1872, p. 1, col. 1.
15- Réponse à l’auteur du pamphlet intitulé : Maison Alexandre Dumas et Cie », 1845, cité dans Bernard Fillaire, Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés, 2010, p. 41.
16- Dans Le Figaro du 10 janvier 1888.
17- Pierre Lepape, article « Nègre littéraire », Dictionnaire des littératures de langue française, 1984, T. II, p. 1617.
18- Alexandre Dumas, Impressions de voyage, T. 1 ; à la date du 3 octobre 1846.
19- Cité dans Gustave Simon, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, 1919, p. 189.
20- Eugène de Mirecourt, Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie, 1845, pp. 50, 51 et 52.
21- Cité dans Gustave Simon, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, 1919, p. 94.
22- Voici comment le téméraire, parce que candide, Mirecourt termine son excellent pamphlet Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie (1845) : « Nos attaques s’adressent uniquement à l’homme littéraire, au pirate qui nous dévalise. Il n’est pas de juges qui osent nous condamner pour avoir défendu les droits sacrés de tous contre l’asservissement immoral d’un seul. Il n’est pas de juges qui osent nous condamner, quand partout retentit ce cri d’alarme : "Les lettres vont périr !" Cette condamnation serait une tache au front du dix-neuvième siècle. On ne proclamera jamais le triomphe du matérialisme, la mort de l’intelligence. » (p. 64)
23- Cité dans Gustave Simon, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, 1919, p. 116.
24- Idem, p. 153.
25- Idem, p. 143.
26- Gustave Simon, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, 1919, p. 140.
27- Idem, p. 66.
28- Idem, p. 67
29- Cité dans Bernard Fillaire, Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés, 2010, p. 57.
30- Cité dans Gustave Simon, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, 1919, p. 79.
31- Idem, p. 77.
32- Bernard Fillaire, Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés, 2010, p. 53.
33- Idem, p. 51.
34- Le vautour est un « oiseau rapace qui se nourrit de charognes ». Aux yeux des propriétaires d’un "nom", qu’est-ce qu’un « nègre littéraire » : un cadavre d’auteur.
35- Mes apprentissages, 1936, p. 72.
36- Bernard Fillaire, Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés, 2010, p. 57.
37- Gustave Simon, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, 1919, p. 60.
38- Idem, p. 61.
39- Eugène de Mirecourt, Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie, 1845, p. 32.
40- Sylvie Chalaye, « La Face cachée d’Alexandre Dumas »
41- Discours prononcé par M. Claude Ribbe.
42- Dans la pièce "signée" Shakespeare, le Maure Othello est ce que l’on pourrait appeler une forte gueule insouciante, tandis que son serviteur Iago est un esprit intelligent particulièrement perfide.
43- Lettre citée par Jules Claretie dans ses Souvenirs littéraires » publiés dans Les Annales politiques et littéraires, 8 octobre 1899, p. 229.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57097568.image.f5.langFR
44- M. Christian Poncelet.
45- Bernard Fillaire, Alexandre Dumas et associés, 2002. Nouvelle édition revue : Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés, 2010.
46- Charles Monselet, La Lorgnette littéraire. Dictionnaire des grands et petits auteurs de mon temps, 1857, (2ème édition 1859) p. 137. Nous apprenons sur l’un des nègres de Dumas, le dénommé Brunswick : « Ce nom appelle celui de M. de Leuven ; M. de Leuven appelle Alexandre Dumas ; Alexandre Dumas appelle tout le monde. » 2ème édition 1859 : p. 31.
47- « La revue des Théâtres » de Charles Bigot, in Le Siècle, 16 janvier 1888, p. 1.
48- A commencer par Pierre Corneille, auteur de la quasi totalité de Psyché (1671), signé Molière. Cf. « L’affaire Corneille-Molière » a knol by Denis Boissier. Aussi le site officiel de l’Affaire Corneille-Molière : corneille-moliere.org
49- M. Christian Poncelet.
50- Alain Decaux, de l’Académie française, discours prononcé le samedi 30 novembre, à 19 h 30.
51- M. Didier Decoin, « Lettre au Président de la République », 20 mars 2001.
52- Signé : Marc Madouraud, 35 ans, Villiers-Adam, France.
53- Signé : Corinne M’Lanao, 29 ans, Nanterre, France.
54- Gustave Simon, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, 1919, p. 8.
BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE SUR DUMAS
« Jamais écrivain ne se gaussa plus intrépidement
de son lecteur, et jamais lecteur ne fut plus indulgent
pour les gasconnades d’un écrivain. »
Léon de Loémie, « Alexandre Dumas »
Galerie des contemporains illustres, 1842.
LOEMIE Léon de, Galerie des contemporain illustres par un homme de rien, 1842 (notamment article « Alexandre Dumas »).
MIRECOURT Eugène de, Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie, 1845.
MONSELET Charles, La Lorgnette littéraire, dictionnaire de grands et des petits auteurs de mon temps, 1857 (article « Auguste Maquet » et article « Brunswick »).
CLARETIE Jules, « Souvenirs littéraires, Dumas père et Maquet » in Les Annales littéraires et politiques,1899.
SIMON Gustave, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet, 1919.
FILLAIRE Bernard, Alexandre Dumas et associés, 2002 (2ème édition en 2010 sous le titre Alexandre Dumas et associés Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés).
GELY Cyril, ROUQUETTE Eric, Signé Dumas, comédie, 2003, avec Francis Perrin (Dumas) et Thierry Frémont (Maquet). La pièce a été éditée chez L.C.J Editions et Productions, 2006. Le texte est paru aux Editions Nouvelles, 2010.
SUR INTERNET
Léon de Loémie, Galerie des contemporains illustres par un homme de rien (1842) :
http://www.archive.org/stream/galeriedescontem02lomuoft#page/n75/mode/2up
Eugène de Mirecourt, Fabrique de romans : Maison Alexandre Dumas et Cie (1845) :
Gustave Simon, Histoire d’une collaboration : Alexandre Dumas et Auguste Maquet (1919) :
http://ia310831.us.archive.org/0/items/histoiredunecoll00simouoft/histoiredunecoll00simouoft.pdf
Jules Claretie « Souvenirs littéraires, Dumas père et Maquet » (in Les Annales politiques et littéraires, 8 octobre 1899) :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57097568.image.f4.langFR
Des images de la tombe d’Auguste Maquet au cimetière du Père Lachaise, sur le site : cbx41.over-blog.com